jeudi 6 janvier 2011

Le remplaçant

  



Comme Agnès Desarthe le dit dans une présentation de son livre : « Le remplaçant, qui donne son nom au récit, n'est pas un enseignant vacataire, pas plus qu'un joueur de football de seconde zone, c'est l'homme qui, après la guerre, a remplacé mon grand-père disparu
auprès de ma grand-mère. »  L’ami, dont la femme a elle aussi disparu à Auschwitz, est devenu le compagnon d’une autre vie.  Les histoires, comment on raconte les histoires... voilà qui est le centre de cette réflexion sur la transmission, les silences que l’on remplit, les absences que l’on refusent... La mort ?  Il suffirait de ne pas annoncer que quelqu’un est mort et tout continuerait comme avant, écrit Agnès Desarthe ; alors oui, il peut être aisé de refuser de voir la « vérité » et, comme le fait sa mère, de chercher le nom de son père dans des documents lointains alors qu’il est gravé sur les stèles du Mémorial de la Shoah, à quelques pâtés de maison d’où elle vit.

C’est que face aux blancs des histoires familiales, il y a ceux qui cherchent et ceux qui inventent : « N’importe qui à ma place procèderait rationnellement en menant une enquête.  Il suffirait d’interroger ma mère, mais je m’y refuse. Je préfère inventer ».  Inventer n’est pas trahir quand on a compris ce qui constitue ceux dont on voudrait savoir plus.  J’ai (un peu) pratiqué le récit familial.  Face aux silences et aux absences de lieux, de personnes, d’événements, j’ai aussi souvent « inventé ».  Je suis certain, cependant, de ne pas m’être trompé. Et comme Agnès Desarthe le souligne, plus loin dans son récit, aller dans cette voie, c’est ouvrir toutes les possibilités, choisir de parler d’un fait ou d’une personnes, c’est (peut-être) en arriver à parler d’autre chose ou de quelqu'un d'autre : « Je voulais écrire sur un homme exemplaire, et voilà que je m’attache à un exemplaire d’homme.  C’est ainsi que fonctionne la fiction, la fiction qui, chez moi, l’emporte toujours sur son inverse ou plutôt son opposé, dont je peine à trouver le nom. Réalité ? Vérité ? Je ne sais pas. » C’est en tout cas plus juste... si les moindres faits et gestes de Napoléon Bonaparte pourront toujours être remis en question par les historiens, personne ne pourra contredire Flaubert dans ce qu’il a écrit d’Emma Bovary.  Et si Agnès Desarthe avait le projet d’écrire sur Janusz Korzack, pédagogue polonais, et a finalement écrit sur son grand-père, c’est sans doute que l’histoire qu’elle devait raconter était celle-là.

Agnès Desarthe raconte donc des histoires (synonyme malheureux de mentir en français) pour atteindre le plus juste, le plus près de la vie des autres et, sans doute, de la sienne.  Qu’elle continue.

Le remplaçant - Agnès Desarthe - Editions de l'Olivier, 2009
 

http://www.agnesdesarthe.com/romans/roman3.htm

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