jeudi 29 décembre 2011

Cyanure




Ce qu'il y a de chouette avec les fêtes, c'est qu'on reçoit des livres en cadeau. Il arrive que ce soit de belles découvertes. Il arrive que non. Je ne connaissais pas Camilla Läckberg, j'imagine que ce doit être une affaire qui roule, la couverture cartonnée spéciale fête, la présence de piles de Cyanure aux caisses des librairies me le font penser en tout cas. J'ai donc lu ce qui s'annonçait être un conte de Noël noir (oui je sais bien que les couvertures servent à vendre et n'ont parfois rien à voir avec le contenu...) et qui ne l'était pas.

Quoi dire ...? J'ai eu l'impression de me retrouver devant la télévision à regarder un épisode de Perry Mason ou de Derrick... vous voyez ce genre de série où tout est lent, où rien ne se passe vraiment où il n'y a pas vraiment de suspense, où le scénario est cousu de gros gros fil blanc... la différence, c'est que dans ces séries les acteurs sont plutôt corrects, alors que dans Cyanure, les personnages sont plus fades les uns que les autres.

La réunion de famille qui tourne mal c'est un classique, et depuis Festen un must; le huis-clos avec un meurtrier qui fait partie du groupe de personnes bloquées par une tempête de neige... pas de quoi être très étonné; le coup de théâtre qui clôt l'histoire (mais qui est un pétard tellement mouillé qu'il a du être sorti de la piscine juste avant) ne nous réveille même plus... Tout est convenu, attendu, su avant que ça ne se passe... Et si en plus il n'y a pas de style - oui, je sais, on dit écrit facilement ou qui se lit facilement... mais ça veut dire la même chose - aucune surprise dans le ton ou dans la forme qui pourrait nous faire dire que bon, finalement..., et bien on se dépêche d'arriver au point final.  Bref, une catastrophe...



jeudi 31 mars 2011

Lidska krajina



Lidska krajina signifie Paysages humains.  A Prague, et ailleurs aussi, les murs parlent. Graffiti, tags, messages en tout genre.  Ce que propose Stanislav Tùma ce sont les surprises qu'offrent les murs quand ils ont reçu des coups. De feu. De boutoir. De marteau.  Après les coups, la parole. Et les murs praguois; et ailleurs aussi, regardez les murs que vous rasez ou côtoyez, et vous y verrez des yeux, des bouches, des mains; parlent et regardent les passants. C'est passionnant. Autant que le deviendra votre voyage urbain quotidien. Regardez à gauche et à droite, mais ne traversez pas.





mardi 15 février 2011

Julius Winsome



Je ne comprendrai jamais rien au choix d'inclure un roman dans une collection 'polar' ou pas.  Sinon, sans doute, que quand on a affaire à un roman noir, on est quasiment certain que ce sera un excellent roman.  La construction, le style, l'histoire, les personnages.  Rien ne sera laisser au hasard.  On est loin du nombril qui s'interroge sur le café qu'il a bu le matin de la veille. Et en tout cas, le café sera meilleur.

Julius Winsome vit dans le Maine, au milieu de nulle part, avec son chien et ses quelque 3.000 livres, légués par son père. La nature et les mots suffisent à son bien-être.  Les forêts du Maine sont aussi le terrain de chasse pour beaucoup.  Le chien de Julius en sera victime. Julius Winsome va perdre la tête et traquer le coupable.  Il ne fera pas dans le détail.

Dis comme ça, cela n'a l'air de rien.  Mais allez-y franchement, c'est un texte prenant, qu'on ne lâche pas.  On devine ce qui va se passer, mais peu importe, c'est comment est raconté ce qui se passe qui compte.  C'est le premier roman de Gerard Donovan traduit en français.  Vite les autres.


Et puis, nouveauté chez les libraires, le trimestriel Alibi, qui se propose d'éclairer la fiction par la réalité.  Dans ce premier numéro, un dossier sur l'entrée en écriture de flics et voyous (ex?  vraiment??), qui racontent quoi comment?  Cela a servi à quoi d'en passer par là? Et puis, il reste les jalousies, une autre gueguerre des polices par scénarios et films interposés.  Je retiendrai l'interview de Abdel Hafed Benotman, dix-sept ans de maizonzon.
Et il y a cet hommage au photographe/documentariste Christian Poveda et à son documentaire La Vida loca, consacré aux Maras, gangs d'Amérique Centrale.  Il a été exécuté par un membre de ces gangs, il y a un an.  Restent le film et des photos, dont quelques-unes sont reprises ici.
Et puis, il y a des tas d'autres choses, des interviews, des recensions qui donnent envie (pas que des livres, mais aussi des films, de la musique), des découvertes... Pas mal quoi.

Gerard Donovan - Julius Winsome - Points Roman noir, 2010 (Le Seuil, 2009)
Alibi, 2011

vendredi 11 février 2011

Et je me suis mis à penser à




Je n’ai pas lu ‘La sardine du Cannibale’, mais il me plait déjà.  Enfin, Majid Bâ, le livre, je ne sais pas, je vous dirai.   Majid Bâ tient l’envie d’écrire de son père.  On sait que l’envie n’est pas tout, il faut parfois passer à l’acte, et pour ça, il faut souvent une bonne raison. Il dit : L’idée est venue dès mon arrivée en France en 2003, dès l’entretien avec mon premier patron. Le deuxième déclic, c’est quand mon visa a expiré. Je me suis dit: «Majid, demain c’est foutu, là va commencer ta vie de clandestin. Il faut que tu commences à écrire, tu dois raconter ce que tu vas vivre» ; ou dit encore : L’écriture m’a beaucoup aidé, c’était mon compagnon. J’écrivais à la main, toujours la nuit, je notais les dates. Chaque fois que je changeais d’hôtel, de chambre, j’emmenais mes classeurs. Je pouvais tout perdre mais mon manuscrit c’était ma vie. Je me sentais fort quand j’écrivais, c’était une forme de thérapie, le seul moment où je me sentais moi-même. Le soir, j’écrivais tout ce que j’avais souffert la journée. Ensuite, j’étais bien. J’imaginais qu’un jour ça servirait…
Et je me suis mis à penser à Patrick Poivre d’Arvor... allez savoir pourquoi, sans doute parce que Majid Bâ est sénégalais, et que les idées s’associant, j’ai pensé à nègre ; oui oui, il y a certainement un fond raciste là-dedans.  J’ai aussi pensé à Erri de Luca quand il raconte ses journées de travail comme maçon et les heures volées au sommeil pour écrire, lire et traduire.  Et je me suis mis à penser à Philippe Sollers et sa vie dans les palaces vénitiens où il tue le temps en se prenant pour un écrivain.  Et je me suis mis à penser aux Jack, London et Kerouac, à Annie Dillard, à Isabelle Eberhardt, à Julio Cortazar... ceux pour qui écrire est une expérience physique.  Et je me suis mis à penser aux mille et aux cents qui allaient tout à coup s’intéresser à Hemingway, et qui auront, au mieux, lu ‘Le vieil homme et la mer’ mais qui trouveront que décidément PPDA il écrit bien quand même.  Et je me suis mis à penser aux mille et aux cents qui liront ‘Trésor d’amour’ et qui parcourront Venise comme la masse que Sollers abhorre.

En vérité, je vous le dis, lire n’est pas toujours bon pour moi.


 

mardi 8 février 2011

Cher Diego, Quiela qui t'embrasse



Elena Poniatowska vient de gagner le Premio Biblioteca Breve pour 'Leonora', qui s'inspire de la vie de Leonora Carrington, écrivaine et peintre, et de sa relation avec Max Ernst.  Et bien, cela me fait plaisir.  Je n'ai pas lu 'Leonora'; qui paraîtra en Espagne le 22 février, mais je sais que je n'attendrai pas la traduction française.

Elena Poniatowska c'est 'Cher Diego, Quiela qui t'embrasse'.  C'est drôle comme une histoire, un livre peut vous changer.  Et pas spécialement en bien.  'Cher Diego...' c'est l'histoire de la fin de la relation entre Angela Beloff et Diego Rivera, raconté par la correspondance qu'Angela envoie à Diego, parti au Mexique, qui ne répondra jamais et n'en reviendra pas.  Il avait mieux à faire avec Frida Kahlo.  Cette correspondance est belle et émouvante.  Evidemment, on sait qu'il ne reviendra pas, qu'il ne la fera jamais venir, et elle restera donc à Paris.  On sait, et c'est d'autant plus tragique.

C'est à cause de ce texte que je n'ai jamais aimé Frida Kahlo.  Je ne la connais pas.  J'ai vu des photos.  Je suis allé voir l'une ou l'autre exposition de ses toiles. Et je ne l'aime pas.  C'est totalement irrationnel, je sais, mais voilà, depuis la lecture des lettres d'Angela, je ne la supporte pas, alors qu'elle n'est, sans doute, responsable de rien et que Madame Rivera ne la connait pas, ou ne veut pas écouter ceux qui lui en parlent.   C'est la force de ce texte, très court, que de faire sentir le désarroi, la peine, la tristesse, l'amour de celle qui, petit à petit, malgré tout, apprend à ne pas se résigner.

Alors, voilà, je souris de savoir que Elena Poniatowka a reçu un des prix les plus prestigieux de la littérature hispanique.  C'est qu'elle, je l'aime.  Et c'est, bien entendu, totalement irrationnel aussi.

Elena Poniatowska - Cher Diego, Quiela qui t'embrasse - Actes Sud, 1984 (première édition)


dimanche 6 février 2011

Vrain Lucas



Les éditions Allia ont le chic pour aller chercher l'improbable et le surprenant.  Ceci, par exemple.  Réédition d'un texte paru en 1924.  Georges Girard y rend hommage à un très illustre inconnu, Vrain Lucas (aucun lien de parenté avec Georges).  Homme d'une pas glorieuse origine, il fut, semble-t-il, obsédé par les livres, au point de passer l'essentiel de son temps dans des bibliothèques.  En 1852, il monte à Paris.  Il y rencontre Michel Chasles collectionneur frénétique d'autographes et de lettres rares.  Le Sieur Chasles a beau être membre de l'Institut, il est avant tout aveuglé par les chimères qu'il poursuit, dès lors, Lucas va lui en donner plus qu'il n'en a rêvé.  Il aurait rencontré un vieil homme, très endetté, qui dispose d'un trésor, des milliers de lettres accumulées au long de sa vie, des lettres des plus illustres personnages de l'Histoire.  C'est ainsi qu'il va lui vendre des lettres de... Marie-Madeleine à son frère Lazare, de Cléopâtre à César, de Newton à Pascal, de Jeanne d'Arc à ses parents, de Charles-Quint à Rabelais... tout ceci rédigé dans un français de l'époque... car tout le monde sait que César ou Platon maîtrisaient le français de l'époque... Tout aurait pu continuer ainsi longtemps - le flatteur vit aux dépends de celui qu'il flatte n'est-il pas - si le Sieur Chasles n'avait pas eu la mauvaise idée de montrer ses trésors à des savants qui n'étaient nullement collectionneurs et encore moins aveuglés.  On imagine la suite.  La défense de Vrain Lucas fut à la hauteur de son culot... il a fait tout cela pour la grandeur de la France... c'est que tous ceux dont ils possédaient les courriers font l'éloge de la France : Cléopâtre envoie Césarion parfaire son éducation à Marseille, Newton reconnaît à Pascal la primauté de l'énonciation des lois de la gravitation... Improbable et surprenant je vous dis.

Vrain Lucas : le parfait secrétaire des grands hommes - Georges Girard - Allia, 2002 (Première édition, La Cité des Livres, 1924)

Quelques extraits de ces lettres

mardi 1 février 2011

Toxique / Chucho









Françoise Sagan a la vingtaine d’années joyeuse quand elle carambole dans le décor avec sa voiture.  Trois mois de soins, de rééducation et aussi d’intoxication/addiction à un ersatz de la morphine, le palfium 875.  La voilà donc partie pour une désintoxication.  C’est pas folichon, on s’en doute.  Et comme elle n’arrive pas à se mettre à l’écriture d’une nouvelle, elle lit et rédige le journal de son séjour.  Enfin, journal c'est un bien grand mot.

Paru en 1964, ‘Toxique’ devait sans doute profiter du succès de Françoise Sagan à cette époque.  Pourquoi rééditer ça aujourd’hui ?  Parce que c’est franchement fond de tiroir genre je m’emmerde et je vous le dis en 63 phrases.  L’objet n’est pas mal, c’est plein d’illustrations de Bernard Buffet, heureusement. Sinon, pas grand chose.

Pour le reste J’aimerais écrire des choses qui se passent en Espagne, avec du sang et de l’acier, ou à Florence sous les Borgia ( ?) mais non. Mon domaine c’est apparemment « il a mis le café dans la tasse, il a mis le lait dans le café, il a mis du sucre, etc. » C’est elle qui le dit...

Et puis, lu aussi et décevant aussi, Chucho.  Chucho, c'est vingt-quatre heures dans la vie d'un gamin de Barcelone.  Chucho a 11 ans, il sert de rabatteur à la brute Belito, il racole des touristes et leur propose de jeunes blondes de l'Est.  Il dort chez la Dumbre, vieille pute qui ne vit que pour sa lampe à huile et que Belito bourre de stupéfiants pour qu'elle la ferme.  La nouvelle fait le tour des gamins, la Polaca a été assassinée et on a même retrouvé son estomac dans une rue voisine... Chucho était le protégé de la Polaca, à qui il trouvait des clients, qu'ils cachaient à Belito. Il est bouleversé et apeuré. Et si c'était le dernier client, Hans, qui l'avait tué. On s'ennuie.  C'est à Barcelone, mais cela pourrait être à Jodoigne.  Pas vraiment d'intrigue.  Pas vraiment de peps. Pas vraiment d'écriture.

Françoise Sagan – Toxique – Le Livre de Poche, 2011 (Stock, 2009 ; Julliard, 1964)

Grégoire Polet - Chucho - Folio, 2010 (Gallimard, 2009)




lundi 31 janvier 2011

Le Voyage dans le passé



J'avais lu 'La Pitié dangereuse' il y a bien longtemps.  Lors de mes études, je crois, c'est dire que c'est loin.  Cependant, il m'a marqué.  Comme m'avait marqué 'Les désarrois de l'élève Törless' de Robert Musil, que j'avais lu à la même période.  Je n'avais rien lu d'autre de ces deux auteurs; sans doute la crainte d'être déçu.  Et puis, dans mes pérégrinations chez les bouquinistes, je suis tombé sur 'Le voyage dans le passé'.  Pourquoi pas? me suis-je dit.

Il s'agit d'une longue nouvelle, inédite en français. L'histoire assez classique d'un jeune homme, de petite condition, qui veut grimper dans l'échelle sociale.  Il entre au service d'un homme d'affaires vieillissant, chez qui il devra s'installer en conséquence de la santé défaillante du vieil homme.  C'est là qu'il rencontre la femme de celui-ci.  Il est amoureux, mais ne dit rien.  Son patron l'envoie au Mexique.  Un baiser échangé avant son départ rendra cet éloignement insupportable.  La Première Guerre mondiale empêchera Louis de rentrer.  Il ne pourra le faire que neuf ans plus tard... neuf ans après un baiser...

Que se passe-t-il quand on retrouve un amour après autant de temps?  Comment passent les jours qui séparent des amoureux?  L'amour n'est guère joyeux chez Stefan Zweig (du moins ce que j'en ai lu), mais il est absolu, exalté. On en perd son souffle. On s'égare dans ses pensées, toutes à l'être aimé.  On suit volontiers leur histoire. Le style, fait de signes, de souffles, de regards, de respirations... qui disent plus que les mots qui ne viennent pas, y est pour beaucoup. Il est suggéré plus qu'il n'est dit. Deux belles heures de lecture donc. Mais cette fois, je n'attendrai pas 30 ans avant d'en lire d'autres.


lundi 24 janvier 2011

Où sommes-nous?


J'aime les nouvelles.  Je les préfère souvent au roman, elles sont plus proches de la manière dont je vois la vie.  Des instants, des moments, des images..., qui finissent par former un tout. La nouvelle est rare en français, un peu moins que la poésie, mais quand même, il y en a peu.  Luce Wilquin publie régulièrement des recueils de nouvelles et c'est une bonne chose.  Christine Van Acker vit en Gaume, près de Florenville.  Les villages et les gens de cette région ont de nombreuses histoires à raconter.  Elle en a rencontré quelques-unes et les a transformées. Cet ensemble de textes est ponctué de prénom, un par nouvelle. Gustave, Violaine, Barnabé, Camélia... autant de rencontres qu'elle a transformé en histoires, autant d'anecdotes qui deviennent de petites leçons de vie. On est souvent plus proche de courts récits que d'intrigues.  Comme parfois, l'ensemble est inégal, mais il y a de très beaux textes Ma vie terrestre, au loin, ne sera plus rien d'autre, pour moi, qu'une enfance sans écho pour l'homme que je suis devenu.  Rien ne me servirait d'appeler; les rumeurs qui me répondraient ne pourraient qu'être celles des vagues qui ne portent plus aujourd'hui que des navires rouillés avides de boire la saumure chaude, résignés à se laisser dévorer par l'indifférence des flots. (Gustave).  Il faut prendre le temps de l'accompagner dans ces moment, écouter ce que chacun, Emélia, Lucas, Clothilde, ...  racontent.



jeudi 20 janvier 2011

Je suis complètement battue




Il y a quelques jours, à Bruxelles, une femme a été assassinée en pleine rue.  Des dizaines de coups de couteau. Le dos. La gorge.  On recherche un ancien compagnon ou mari, je ne sais plus.  Mais quelqu’un qui se croyait en droit de la maltraiter, de lui ôter la vie.  Des femmes battues, maltraitées, assassinées par celui avec qui elles vivent, ont vécu, il y en a des dizaines par jour, des centaines par mois, des milliers par an… Trop, trop, trop…

 Eléonore Mercier est écoutante dans une organisation qui se préoccupe des violences conjugales.  Le livre qui a paru – « Je suis complètement battue » - reprend 1653 premières phrases de qui a décidé d’appeler à l’aide, de dire assez, pour soi, pour une voisine, pour une collègue de travail, pour une amie, pour une sœur ou une mère. Et Eléonore Mercier a noté, noté, noté…

Je souffre depuis des années

Je vous appelle parce que mon concubin m’a tapée plus que d’habitude

C’est pour ma sœur qui travaille dans la société de son mari et n’a pas le droit de téléphoner

C’est pour une amie qui reçoit des coups gratuits

J’ai un mari qui n’aime pas la société Je voudrais partir loin Je vis avec mon mari et sa mère, ils veulent tous les deux que je parte

Effrayantes.  Emouvantes. Horribles. Toutes ces phrases sont autant d’histoires immédiatement accessibles, et c’est ce qui rend ce livre d’une force incroyable.  Parfois drôles, parce que maladroites. Souvent insupportables. Banales, comme le mal peut l’être au quotidien, ces phrases glanées au fil des années d’écoute, deviennent un poème, un chant, une incantation, que sais-je… un cri qui nous met face à une violence qui est toute proche…

Ma fille me dit qu’elle tombe dans l’escalier

Je suis le frère de la femme dont le mari prépare l’enlèvement

Mon mari est parti avec une des filles pendant que j’étais chez le médecin

C’est pour une femme victime de violences dont le mari est parti et revient pour la frapper

J’ai entendu à la radio que j’étais dans le même cas

J’ai dit à mon mari que j’allais faire les courses pour pouvoir vous appeler

Une de mes amies est dans un sale pétrin


Eléonre Mercier - Je suis complètement battue - P.O.L., 2010


La confrérie des mutilés




Aaaaaaah là, c'est du costaud.  Du sanglant, du puant, du dérangeant.  J'ai quand même eu un  doute au début, j'ai eu peur de retomber sur quelque chose dans le genre de 'Aime-moi Casanova' de Antoine Chainas, qui louche plutôt du côté du Canada Dry comme littérature.  Très vite, je fus rassuré.  On est plutôt proche de l'univers d'Harry Crews ou de Chuck Palaniuk.

Kline est détective.  Il a arrêté un tueur à la force du poignet; le gars, découpeur en série, lui a tranché la main dans la bagarre, mais Kline, vif et ne souhaitant pas mourir au début de l'histoire, se cautérise le bout du bras tout seul comme un grand et butte le hacheur présomptueux.

Sans le savoir, il est devenu l'icône de tout un peuple, celui de la confrérie des mutilés, un type qui se soigne le moignon tout seul comme un grand, respect.  On l'invite donc à venir enquêter sur un meurtre qui a eu lieu dans la confrérie.  Le hic, c'est que pour en savoir un (peu) plus, Kline va devoir y perdre du sien.  Des réponses contre des bouts de chair, tel est le contrat, auquel Kline n'a pas l'occasion d'opposer beaucoup d'arguments...

L'univers dans lequel on bascule avec Kline est troublant et  fascinant.  Quel est le prix de la vérité?  Qu'est-on prêt à donner pour la connaître?  Dans son cas, il lui faudra tendre la deuxième main.  C'est qu'on ne rigole pas avec les règles chez les Mutilés.  Le Bien, le Mal... des mots tout ça Monsieur Kline... mais ici vous les touchez du doigt qu'il vous reste.  Mutilez-vous et vous en serez plus grand.  Kline ne l'entend pas vraiment de cette oreille, qu'heureusement il gardera.  Alors, allez-y, n'hésitez pas, lisez ces deux cents bonnes pages de dinguerie contrôlée.  C'est du direct.  De la bidoche bien saignante.  Et s'il y en a un peu plus, prenez-le c'est cadeau.

La confrérie des mutilés - Brian Evenson - Le Cherche Midi, 2008

mardi 18 janvier 2011

Purge




Cela arrive parfois.  Un livre reçoit des prix, des vivas, des éloges de partout.  Et vous vous demandez pourquoi.  Purge, de Sofia Oksanen s’est un peu ça pour moi.  Et pourtant, la scène d’ouverture est formidable, cette vieille dame, Aliide Truu, qui essaye d’empêcher une mouche de se poser sur le bout de viande qu’elle se réserve et d’y pondre ses oeufs, annonce le meilleur.  Et puis, cela retombe tout doucement.  Oui, je sais, c’est peut-être la traduction (Purge en français, Trahison en estonien), mais bon, je ne lis pas l’estonien, dès lors. N’empêche, cette histoire de trahisons, de placards qu’on rouvre et d’où tombent des cadavres très frais, sur fonds d’occupation soviétique de l’Estonie est longuette... très même.

Pourquoi en parler alors ?  Parce que la Tunisie.  Avec ce qui se passe en Tunisie, j’imagine les règlements de compte qui doivent avoir lieu... Un pouvoir fort (voire) absolu repose en (bonne) partie aussi sur l’assentiment ou la complicité d’une partie de la population.  Alors, quand ce pouvoir s’effondre, sans doute que les rancoeurs et la volonté de vengeance doivent s’exprimer envers ceux qui ont été complices. 

Dans ‘Purge’, Aliide Truu, pour des motifs qui n’ont rien à voir avec la politique, va se compromettre avec l’occupant soviétique, et être dès lors considérée par les Estoniens comme une Russe, une traîtresse, une complice, mais quelqu'un dont on a peur.  Une fois le Mur de Berlin à plat et l’Empire soviétique dilué, sa situation ne sera plus très enviable, mais elle est robuste.  Arrive la jeune Zara, qui semble la connaître et lui demande de l’aide.  S’ensuit un huis-clos et des flash back... Et on s’ennuie... ferme. Comme d’autres dans un contexte similaire, Aliide Truu est un exemple de ce que l’humain est capable de mal faire pour sauver sa peau ou trahir ses valeurs. J'aurai retenu ça.

Sofi Oksanen - Purge – Stock, 2010

mardi 11 janvier 2011

Epépé




C'est le genre de livre que l'on achète et que l'on rachète, parce qu'on le prête et qu'il ne revient pas puis qu'on rachète parce qu'on l'offre encore et encore.  Je n'en avais plus et je suis retombé sur un exemplaire dans une boutique de seconde main.  Comme la Hongrie préside l'Union européenne pour six mois, c'était une autre bonne raison de le racheter.

Budaï est linguiste.  Il arrive à Helsinki pour un congrès.  Enfin... il croit arriver à Helsinki... Une fois descendu de l'avion, il se demande où il est... tout ce qu'il entend est ... Patyagyagyabbou? Vévé térépléboeboe...? ou ... Tchétentché gloubgloubb? Goulouglouloubb? C'est du moins ce qu'il croit entendre, car, malgré qu'il connaisse des dizaines de langues, non seulement celle-ci ne lui dit rien, mais il ne parvient à la rattacher à aucun ensemble connu.  Budaï atterrit dans un monde où il ne comprend rien.    Budaï fera de la prison. Il sera révolutionnaire.  Il errera à la recherche d'un bout de pain.  Il trouvera du travail.  Il cherchera encore et encore à déchiffrer cette langue incompréhensible... Epépé étant le premier mot qu'il pourra rattacher à quelque chose... il n'en saura pas beaucoup plus. On pense à Charlot.  On pense à Kafka. Drôle et absurde. Comme lecteur, on est pas plus avancé que lui.  On tâtonne.  On essaye de comprendre.  On en est au même point de Budaï, la connaissance linguistique en moins, on s'en remet ainsi à lui.  On se demande ce que l'on fait là, on cherche un moyen de s'en sortir, on se laisse porter par le mouvement, par les événements.  Etrange et jouissif.

Ferenc Karinthy - Epépé - Editions Denoël, 1999

dimanche 9 janvier 2011

Ce jour-là







Willy Ronis fait partie des photographes qui comptent dans l'histoire de cet art récent.  Il est décédé il y a un an.  A la manière de Perec ou Brainard avec 'Je me souviens' - 'I remember' 'Ce jour-là' est un autoportrait en une cinquantaine de photos/textes qui relatent le moment de la prise de vue et racontent une anecdote, une histoire, une époque, une vie.
C'est aussi une leçon de photographie.  La photo c'est la machine à remontrer le temps, c'est une manière de regarder le temps qui a passé. J'ai commencé à faire de la photo il y a deux ans.  J'ai du prendre plusieurs milliers de clichés.  Pour le plaisir.  Pour le boulot.  Comme le dit Willy Ronis (et sans doute les autres photographes), on se souvient de toutes les photos que l'on a prises.  Quand on revoit le cliché, même des années plus tard, on revoit le moment, parfaitement.  J'ai toujours un petit appareil avec moi. Je prends une ou plusieurs photos chaque jour.  Depuis que je fais cela, le temps s'est ralenti. Garder toutes ces traces permet de repenser autrement le monde et la place qu'on y a.  Bien sûr, dans le cas de Willy Ronis, il y a un choix et un projet artistique.  Je n'en suis pas là.  C'est pour cela que ce livre est un bonheur, parce qu'au-delà des clichés, des histoires, il y a quantité de conseils, qui ne le sont pas volontairement, qui aideront qui comme moi cherche comment faire.  La technique est importante, mais l'intuition et le pourquoi cliquer à ce moment plutôt qu'un autre, c'est cela qui va faire que la photo sera bonne.  Et ce moment-là dépendra de qui l'on est et de ce qui nous remue à cet instant. 

 Willy Ronis - Ce jour-là - Folio, 2008 (Première édition Mercure de France, collection 'Traits et portraits', 2006)

jeudi 6 janvier 2011

Le remplaçant

  



Comme Agnès Desarthe le dit dans une présentation de son livre : « Le remplaçant, qui donne son nom au récit, n'est pas un enseignant vacataire, pas plus qu'un joueur de football de seconde zone, c'est l'homme qui, après la guerre, a remplacé mon grand-père disparu
auprès de ma grand-mère. »  L’ami, dont la femme a elle aussi disparu à Auschwitz, est devenu le compagnon d’une autre vie.  Les histoires, comment on raconte les histoires... voilà qui est le centre de cette réflexion sur la transmission, les silences que l’on remplit, les absences que l’on refusent... La mort ?  Il suffirait de ne pas annoncer que quelqu’un est mort et tout continuerait comme avant, écrit Agnès Desarthe ; alors oui, il peut être aisé de refuser de voir la « vérité » et, comme le fait sa mère, de chercher le nom de son père dans des documents lointains alors qu’il est gravé sur les stèles du Mémorial de la Shoah, à quelques pâtés de maison d’où elle vit.

C’est que face aux blancs des histoires familiales, il y a ceux qui cherchent et ceux qui inventent : « N’importe qui à ma place procèderait rationnellement en menant une enquête.  Il suffirait d’interroger ma mère, mais je m’y refuse. Je préfère inventer ».  Inventer n’est pas trahir quand on a compris ce qui constitue ceux dont on voudrait savoir plus.  J’ai (un peu) pratiqué le récit familial.  Face aux silences et aux absences de lieux, de personnes, d’événements, j’ai aussi souvent « inventé ».  Je suis certain, cependant, de ne pas m’être trompé. Et comme Agnès Desarthe le souligne, plus loin dans son récit, aller dans cette voie, c’est ouvrir toutes les possibilités, choisir de parler d’un fait ou d’une personnes, c’est (peut-être) en arriver à parler d’autre chose ou de quelqu'un d'autre : « Je voulais écrire sur un homme exemplaire, et voilà que je m’attache à un exemplaire d’homme.  C’est ainsi que fonctionne la fiction, la fiction qui, chez moi, l’emporte toujours sur son inverse ou plutôt son opposé, dont je peine à trouver le nom. Réalité ? Vérité ? Je ne sais pas. » C’est en tout cas plus juste... si les moindres faits et gestes de Napoléon Bonaparte pourront toujours être remis en question par les historiens, personne ne pourra contredire Flaubert dans ce qu’il a écrit d’Emma Bovary.  Et si Agnès Desarthe avait le projet d’écrire sur Janusz Korzack, pédagogue polonais, et a finalement écrit sur son grand-père, c’est sans doute que l’histoire qu’elle devait raconter était celle-là.

Agnès Desarthe raconte donc des histoires (synonyme malheureux de mentir en français) pour atteindre le plus juste, le plus près de la vie des autres et, sans doute, de la sienne.  Qu’elle continue.

Le remplaçant - Agnès Desarthe - Editions de l'Olivier, 2009
 

http://www.agnesdesarthe.com/romans/roman3.htm

mercredi 5 janvier 2011

Taxi



On parle beaucoup d’Egypte ces jours-ci.  Et ça tombe bien, j’étais justement occupé à lire Taxi.  Taxi, c’est 58 histoires racontées par les chauffeurs de taxi du Caire.  Le Caire, c’est 80.000 taxis. Ca fait du monde.  Un peu à la manière de ‘Night on earth’ de Jim Jarmush (Roberto Benigni en moins), ce sont des fragments de vie et d’histoire de ces hommes mais aussi de la société cairote et égyptienne. Les relations entre musulmans et chrétiens.  Moubarak et sa clique. La débrouille au quotidien.  Dieu qui finira bien par aider celui qui en a besoin. Le hasard et le destin.  La corruption à tous les étages.  Chaque fois qu’il prend le taxi, Khaled El-Khamissi, l’auteur de ce recueil, écoute et, quand on le lui le demande, parle ou donne un avis.  S’ensuit souvent des échanges désabusés et sombres qui sont autant d’analyses fines de l’Egypte de demain.  C’est que personne ne semble dupe de ce qui s’y passe et de comment quelques-uns profitent de la mise sous tutelle du pays par les Etats-Uniens.  Cela n’augure rien de bien folichon.  Reste un recueil où l’on passe de bons moments en compagnie des « taxis » et de leur passager. C’est souvent drôle et surprenant et toujours bien raconté.

Taxi - Khaled El-Khamissi - Actes Sud, 2009