samedi 19 juillet 2014

Ici



Partir. Partir, on y pense tous un jour ou l'autre. On sait que l'on partira tous un jour ou l'autre vers on ne sait où, pour la plupart, sans l'avoir choisi, et qu'on n'en reviendra pas. Avant cela, on y pense tous à partir quelque part. Peu le font. Christine Van Acker (son compagnon et son fils) est partie un jour; Non pas au Costa Rica, à Malagà, ou à Las Palmas, mais Ici, tout en bas de la carte de la Belgique, juste en dessous de la grande forêt d'Ardenne... Quelque part vers Muno, Muno comme l'écrivain bruxellois. Certains ont du (se) dire qu'elle ne pouvait pas tomber plus bas. Ces mêmes certains qui invariablement lui demandent si ça va, s'ils s'intègrent bien, si rien ne leur manque, s'ils comptent revenir à Bruxelles un jour, ... enfin, toutes ces questions qui servent d'abord à se rassurer, à vérifier que l'on a bien fait de ne pas partir; ces questions auxquelles Christine Van Acker répond sans se départir de ce petit sourire.

C'est que oui, bien sûr, Ici, on s'ennuie. On s'ennuie beaucoup même. Et c'est justement cet ennui qui permet de défaire et de faire. Ecrire. Planter. Cueillir. Publier. Récolter. Regarder. Ecouter. Parler. Se taire. Vivre quoi. Ne plus voir tous ces films, toutes ces pièces, tous ces concerts? Et alors... de toute façon, quand ils étaient là-bas, ils n'y allaient pas souvent. Alors, un peu moins, quelle différence? Sans doute, celle de ne plus se sentir obligé, ne plus se sentir en décalage. C'est qu'on est plutôt bien Ici.

Pour qui comme moi n'a jamais quitté le bitume, le bruit des klaxons, l'agitation urbaine, Ici fait immanquablement revenir des images de week-end de détente et des Ah ce qu'on est bien ici! que lâche tout homo urbanus qui sait que dans quelques heures il retournera à la civilisation. Heureusement, par ces courts chapitres (2-3 pages), des portraits, des anecdotes, des souvenirs, des regrets, des moments de vie quotidienne, ... Christine Van Acker nous dit qu'on est ni mieux ni moins bien Ici que là. On fait Ici ou là ce qu'on peut, du mieux que l'on peut. L'important est d'avoir choisi, d'avoir décidé, de ne pas avoir continué quelque chose qui aurait fini par insupporter. Alors oui, elle pourrait répondre que ce n'est pas simple, que parfois on peut ressentir un peu de nostalgie, que des fois, on aimerait un peu moins de simplicité, mais, jusque là, pas de regret.

Dédié à Pierre Autin-Grenier, Ici est un livre où l'on retrouve toute l'habileté de Christine Van Acker à décrire des situations banales qui deviennent des débuts d'épopées, à portraiturer ceux qui deviennent des personnages, à rendre intéressant la carotte qui pousse. Du coup, on ne s'ennuie jamais Ici, en tout cas, moins que là-bas.


C'est comme ça que ça se termine :

Sur la page de garde, il avait inscrit cette dédicace :

Pour mon amie Christine Van Acker tous ces petits feuillets à noircir de pleins de belles choses... Je lui fait confiance!

PAG

Ici - Christine Van Acker - Le Dilettante, 2014, 157p



samedi 12 juillet 2014

Ici comme ailleurs




Le quatrième de couverture annonce le double patronage de Kafka et de Camus. Camus, je ne sais pas, mais Kafka on en est jamais loin. J'ajouterai Ferenc Karinthy (Epépé) et Murakami (Les chroniques de l'oiseau à ressort) tant notre condition humaine et l'absurdité de trouver un sens à notre place au monde y en présente.

Yu (vous, moi, tout le monde) a le choix entre une mutation à perpète les oies ou un licenciement d'autant plus douloureux qu'il sera sec et sans appel. Il s'en va donc à Sori prendre ses nouvelles fonctions. Et sa femme de le quitter pour retrouver son ex-amant mourant qui a définitivement plus d'intérêt.

Arrivé à Sori, Yu apprendra; et quand il n'apprend pas assez vite, on le lui apprend; à se dépouiller de tout, même de ce qu'il n'a pas, à ne rien trouver, à tout perdre, à devenir une proie. Sori, une sorte de toile d'araignée, de bourbier, de ténèbres qui ne vous lâchent pas ou alors balbutiant, rampant, délirant.

Lee Seung-U est habile dans l'art de nous perdre, de créer un univers angoissant, de nous montrer que l'inquiétant n'est jamais loin, que ce que l'on possède est éphémère. Ce que l'on croit là, présent, ne l'est jamais vraiment, ce que l'on pense acquis, ne l'est jamais longtemps. La seule certitude c'est l'absurdité de ce qui nous arrive et la manière dont nous essayons de nous en sortir. Le monde sera toujours là, nous ne faisons qu'une apparition, plus ou moins longue, mais cela n'a aucune importance, quoi que nous fassions, quelle qu'en soit la beauté ou l'amour que nous y mettions, cela disparaitra, s'effacera, sera oublié.

Même si certains choix et rebondissement d'intrigue sont convenus, Ici comme ailleurs est un roman suffisamment original et inquiétant pour y consacrer quelques heures.


C'est comme ça que ça se termine :  

Ce qu'ils contemplaient désormais, c'est le monde d'avant la Genèse, quand la Terre était informe et vide, juste des ténèbres au-dessus de l'abîme.

Lee Seung-U : Ici, comme ailleurs - Folio Gallimard, 2014, 297p