mercredi 19 mars 2014

Chiennes de vie



Voilà un livre à se rouler par terre de plaisir. 

Lorsqu'on entre dans les nouvelles de Frank Bill, on est rarement en bonne compagnie, c'est que dans le sud de l'Indiana, les gens bien, ça ne courent pas les rues ni les sentiers. Il leur trouve parfois quelques circonstances, à peine, atténuantes à ceux-là; les traumatismes liés à la guerre - Vietnam, Afghanistan ou d'autres, ce n'est pas les terrains d'opération qui manquent aux Etatsuniens - qui font revenir des gars qui sont au bord de l'explosion, on en a une belle brochette dans les 16 nouvelles qui composent ce recueil des plus secouant. Et puis, il y a des crapules et des ordures pour qui on aura beau chercher un quelque chose à mettre à leur actif... mais on ne trouvera pas; des violeurs, des étripeurs, des pervers, des sous-merdes, des défonceurs de crâne, et on en passe. C'est que dans les bleds qu'on visite, les familles ont très souvent des comptes à régler et quand il y a peu de familles, ça se mélange et au bout d'un temps, les neurones viennent à manquer. Et puis, il y a le fric, ce foutu fric qui dévalue la vie humaine en deux temps trois cadavres, et quand il y en a peu ou peu, on gratte, on fouille, on élimine. Ca sanguinole, ça couine, ça gicle.

Tout ça avec une écriture nerveuse, quelque chose de Harry Crews, quelque chose de Chuck Palaniuk, mais quelque chose de Frank Bill surtout, car il y a là un putain d'écrivain, qui nous emmène voir la bête de plus près, de tout près.


Voilà comment ça finit : 

Il tendit la main pour gratter Spade derrière les oreilles. Il ignorait encore où les mènerait leur voyage, et il s'en fichait; il savait juste qu'il ne s'arrêterait pas avant d'avoir mis plusieurs Etats entre eux et les crimes du sud de l'Indiana.

Frank Bill : Chiennes de vie. Chroniques du sud de l'Indiana - Folio Policier, 2014, 335p

samedi 1 mars 2014

En mer




En mer, c’est un peu le jeune homme et sa fille. 

Donald ne se sent plus bien à son boulot; pas plus qu’ailleurs sans doute. Il pourrait, il aurait pu prétendre à une carrière plus flamboyante, mais elle a tardé à arriver jusqu’à disparaître. Alors, un jour, il décide de prendre du repos, du recul; il demande à pouvoir prendre trois mois de congé et décide de partir en mer, de sillonner la Mer du nord, du Danemark aux Pays-Bas. Pour la dernière étape, sa petite fille, Maria, 7 ans, l’accompagnera. C’est tout ce qu’il a pu obtenir de son épouse, qu’elle la lui dépose dans l’avant-dernier port. Cette dernière étape, moment qu'il veut privilégié avec elle, ne se passera pas aussi simplement que prévu.



Ce court roman, une cent cinquantaine de pages, joue sur la tension, l’inquiétude et l’angoisse. La mer est un  lieu rêvé pour cela. Tout le contraire du huis-clos, c'est l'étendue, le vide, l'immensité qui est propice à la peur. Pourtant ces quelques centaines de miles marins sur une mer d’huile parcourus par un père et sa fille n’ont, a priori, pas de quoi nous mettre sur nos gardes. Mais la mer, c’est l’obligation de rester en éveil perpétuel, l’orage, la tempête, les déferlantes ne sont jamais loin. Comme dans la vie.



Et Toine Heijmans nous le dit et nous instille ce doute dès les premières lignes. Petit à petit, on est pris dans ce doute, très vite on a conscience que quelque chose de grave est arrivé ou va se passer. On ne comprend pas tout, on n’en sait à peine plus que ce père perdu au milieu de nulle part, qui tente de rester à flots, de ne pas sombrer, et qui se rattache à ce qui lui reste de plus cher.



Des courtes phrases, des descriptions minimales des lieux et des événements qui laissent imaginer ce qu’il y aurait lieu de faire, ce que nous ferions si nous étions sur ce bateau, qui nous obligent à essayer de nous souvenir où se trouve ce dont nous avons besoin pour survivre.  Un bémol sur la fin tout de même, mais je vous laisse la découvrir.




Voici comment ça finit :



"Il répond à leurs signes. Il salue sa femme, et sa fille."



En mer – Toine Heijmans – Christian Bourgois, 2014, 155p