vendredi 16 novembre 2012

Les lois fondamentales de la stupidité humaine



Il y a cinq lois fondamentales.

La Première est que "Chacun sous-estime toujours inévitablement le nombre d'individus stupides existant dans le monde".

La Deuxième est que "La probabilité que tel individu soit stupide est indépendante de toutes les autres caractéristiques de cet individu".

La Troisième dit que "Est stupide celui qui entraîne une perte pour un autre individu ou pour un groupe d'autres individus, tout en n'en tirant lui-même aucun bénéfice et en s'infligeant eventuellement des pertes".

La Quatrième est que "Les non-stupides sous-estiment toujours la puissance destructrice des stupides. En particulier, les non-stupides oublient sans cesse qu'en tous temps, en tous lieux et dans toutes les circonstances, traiter et/ou s'associer avec des gens stupides se révèle immanquablement être une erreur coûteuse".

La Cinquième établit que "Lindividu stupide est le type d'individu le plus dangereux".

Les autres types d'individus sont le crétin, le type intelligent et le bandit. Le crétin est celui qui perd et fais gagner à l'autre. Le type intelligent est celui qui gagne et fait gagner à l'autre. Le bandit est celui qui gagne en faisant perdre à l'autre.

Gagner/Perdre... Carlo Cipolla n'était pas économiste par hasard. N'empêche que ce court texte, une quarantaine de pages - un long article - nous montre de qui nous sommes entourés, voire qui nous sommes. Et c'est vrai que des gens stupides, on en croise souvent et y repense à la lecture de ce texte, qui ne donne aucun exemple, mais on les voit aisément. En même temps, il nous arrive, sans doute, à tous, parfois, d'être stupide. Et, cela n'est pas vraiment rassurant.

Carlo Cipolla - Les lois fondamentales de la stupidité humaine - PUF, 2012


 


jeudi 8 novembre 2012

14




C'était il y a bientôt 30 ans, je travaillais en bibliothèque, je passais du temps avec un gars qui lisait des trucs que je ne connaissais pas, comme Christopher Isherwood, Sam Shepard ou Bertrand Visage. Alors, quand il m'a dit 'Tiens lis ça', j'ai pris et j'ai lu.

J'étais toujours sous l'influence des professeurs du secondaire et de leur Lagarde&Michard, alors, commencer un livre où un gars, un jour, sort d'une usine avec un chapeau mou sur la tête, je ne savais pas que c'était possible. Et pourtant, ça existait. C'était 'Cherokee', le premier roman de Jean Echenoz. Depuis, j'en ai pas raté un. Il y a de bonne année (souvent) et de moins bonne (rarement). Si vous ne le connaissez pas, foncez, vous ne serez pas déçus.

'14', c'est la guerre 14-18. C'est la mobilisation. Les hommes qui partent. Les villes qui se vident. Les femmes qui les remplacent dans nombre d'emplois. Il y a la camaraderie, les potes qui partent ensemble et qui ne reviendront pas tous. Ou pas entier. Il y a celle qui voit partir deux hommes qui comptent pour elle. Des frères. L'un est le père de l'enfant qu'elle porte. 

On reçoit des uniformes, des armes, des sacs, tout ça pèse. Le combat arrive tard. La mort surprend vite et beaucoup de ces jeunes hommes partis joyeux. On pue. On tremble. On écrit. On tue. On regarde mourir. On perd des proches. On perd des bouts de soi. On rentre un bras en moins.  La vie continue. Des enfants naissent. Les hommes reviennent et remplissent à nouveau les villes. Ils ne sont plus les mêmes. Ils sont fous. Ils sont tristes. Ils sont blessés, estropiés, handicapés.

Une femme sourira. Un enfant naîtra. Un homme revivra. Une famille se fera.

Jean Echenoz, c'est l'assurance de pouvoir se laisser porter par un rythme apparemment nonchalant, mais que vous ne pouvez abandonner. On passe d'un tableau à un autre, d'une scène à la suivante, comme ça, comme on met un pied devant l'autre, ça marche. C'est brillant. C'est drôle.

Du coup, je n'en veux plus vraiment à ce gars de m'avoir piqué mon blouson il y a bientôt 30 ans. Ca nous fait un bout d'histoire commune à tous les deux.


ça finit comme ça :

Il s'est couché près d'elle et l'a prise dans son bras, puis, il l'a pénétrée avant de l'inséminer. Et, à l'automne suivant, précisément au cours de la bataille de Mons qui a été la dernière, un enfant est mâle est né qu'on a prénommé Charles.


14 - Jean Echenoz - Editions de Minuit, 2012

mardi 6 novembre 2012

Quand l'empereur était un dieu




En 1941, les Américains se sont pris la pâtée à Pearl Harbour. Leur flotte du Pacifique s'est faite dézinguée par l'armée japonaise en moins de temps qu'il m'a fallu pour l'écrire. Ils n'ont rien vu venir. Enfin, il paraît, parce que, selon certains, ce n'était pas aussi surprenant que ça. Mais bon, je vous laisse vous faire votre idée par vous même, il suffit de taper 'Pearl Harbour' sur Google et vous aurez de la lecture.

En 1941, après la pâtée prise à Pearl Harbour, les Etats-Unis sont entrés en guerre contre le Japon. C'est une raison comme une autre. Sur le territoire américain vivaient des Americano-Japonais et en quelques semaines une centaine de milliers de ces citoyens seront internés dans des camps. Ils y resteront plusieurs années, le temps de la guerre.

C'est qu'Américano-Japonais, c'est pas vraiment américain. Alors pas de risque, on les enferme, loin, pour longtemps. C'est pour leur bien. C'est que les voisins, ceux avec qui on barbecuetait, avec qui on jouait, avec qui on discutait, vous regardent d'un autre oeil, vous qui avez les yeux, les cheveux et la même tête que ceux qui ont balancé des tonnes de bombes. Vous aurez beau être né dans le Massachusets, ne pas connaître le japonais et manger des hamburgers à tous les repas, rien à battre, vous êtes dorénavant l'ennemi, celui qu'on ne veut plus voir.

C'est ce que raconte Julie Otsuka; que je ne connaissais pas et qui  a reçu aujourd'hui le Prix Femina étranger 2012 pour son deuxième roman.  Un matin, un papa disparaît, emmené menotté de tôt matin en robe de chambre blanche. Quelques jours plus tard, le reste de la famille partira aussi. Ce seront des jours à ne rien faire, à attendre qui sait quoi. Ne rien dire. Baisser la voix, les yeux. Le retour aura lieu. Chacun ou presque, il y aura des exécutions, reviendra chez lui. Et là, on découvre que la maison a été occupée, vidée, saccagée, détruite parfois. On retrouve les voisins qui font comme si. Comme s'ils n'ont rien vu. Comme s'ils ne savaient pas. Comme si vous étiez partis en week-end pour pécher.

Tout cela est raconté avec une écriture sèche, sans effets inutiles. Il ne se passe pas grand chose et le presque rien devient l'affaire d'une journée. Une fleur. Une poussée de vent. Le lit de la cabane d'à-côté qui craque. L'attente des lettres du père qui ne raconte rien. On est chez soi, on doit quitter sa maison, on passe des années dans le désert, puis on revient. Rien n'a changé. Tout a changé. Les deux enfants ne se sentiront plus jamais chez eux dans ce pays où quoi qu'ils feront ils seront ceux par qui la menace est présente.

 

... ça finit comme ça :

Avisez-moi des crimes qui me sont reprochés. Trop petit, trop brun, trop laid, trop fier. Consignez tout cela par écrit - montre une certaine nervosité au cours de la conversation, rit toujours trop fort et au mauvais moment, ne rit jamais - et je signerai sur les pointillés. Est perfide et rusé, est impitoyable et cruel. Et si un jour on vous demande ce qu'en fin de compte je brûlais de dire, j'aimerais, si vous le voulez bien, que vous répondiez ceci :
Pardon.
Voilà. C'est tout. Je l'ai dit. Puis-je disposer, maintenant?


Julie Otsuka -Quand l'empereur était un dieu - Phébus, 2004, 180p (ou 10/18, 2008)

samedi 3 novembre 2012

Ali Rap, Muhammad Ali the First Heavyweight Champion of Rap



Ceux de ma génération ont bien connu Cassius Clay/Mohamed Ali. Il faisait partie du paysage, comme John Wayne et Tarzan. Ses combats étaient des événements qu'on ne voulait rater pour rien au monde. Comme Eddy Merckx dans le Tourmalet ou l'arrivée de l'Homme sur la Lune.

Bon, il faisait aussi souvent la Une des informations pour autre chose que la boxe. Une fois, il se convertit à l'islam. Une autre il refuse d'aller combattre au Vietnam et risque la prison. Un personnage qui allait tourner au mythe.Ce qui est certain, c'est que c'était une grand gueule comme on dit.

C'est ce que raconte ce beau gros volume. Le parti pris est d'avoir composé cette histoire à partir des coups de gueule, des bons mots  qui riment et rythment la manière dont Ali/Clay considérait l'American Way of Life, les rapports entre Blancs et Noirs, la boxe, l'esclavage, sa famille... tout cela à la manière de ce que font (ou essayent) les rappeurs, c'est rapide, efficace, juste, comme sa boxe, tout cela mis en page et images/photos par George Lois.

Et puis, en Belgique, Ali fait partie de l'histoire du pays. En 1976, Jean-Pierre Coopman a défié The Greatest. Cela s'est passé à Kinshasa. On a même fait une chanson pour l'occasion, "In Zaïre", qui fut un succès mondial. Et Ali à dézinguer Coopman.  N'empêche que ça aurait eu de la gueule un Belge champion du monde poids lourds.

Il parait que le livre est épuisé. Je n'ai pas vérifié. Je l'ai dégoté pour €5 chez mon bouquiniste préféré. Pour le reste, il y a votre libraire qui vous le trouvera, peut-être.


Les dernières lignes...

Horses get old
Cars get old
The pyramids of Egypt are crumbling



Ali Rap, Muhammad Ali the First Heavyweight Champion of Rap - edited and designed by George Lois - Taschen, 2006, 608p