samedi 26 janvier 2013

Vie et mort en quatre rimes



Vous voulez savoir comment ça fonctionne un écrivain? Vous voulez savoir à quoi ça pense quand ça n'écrit pas? Vous pensez que leur vie est faite de bons mots et de jolies pensées? Enfin, vous vous intéressez aux écrivains, ce livre est pour vous. Mais pas que. Vous voulez passez un bon moment, regarder le monde et le vôtre, en particulier, d'un autre oeil, percevoir ce qui n'est pas encore, mais que vous pourriez révéler? Ce livre est pour vous aussi.

Un écrivain est invité à une causerie dans un centre culturel. Outre l'écrivain, il y aura le directeur du lieu, une lectrice et un professeur de littérature qui raconteront et diront ce qu'ils ont à dire. Lui n'écoutera qu'un oeil. Il sortira le laïus qu'il sort à chaque fois.

L'écrivain arrive plus tôt, va prendre un verre et regarde autour de lui. Du slip deviné sous la jupe de la serveuse aux deux acolytes qui discutent à la table d'à-côté, tout devient histoire. L'écrivain imagine qui est la serveuse, qui est le petit taiseux, avec qui a couché le professeur d'université,... chacun croisant chacune à un  moment. Tout devient possible, en tout cas imaginable. La littérature, quoi. Qui n'adviendra qu'une fois que l'écrivain s'attèlera à son travail d'écrivain, qu'il écrira, qu'il essaiera de mettre en mots tous ces possibles auquel il a réfléchi.

Il arrive qu'à force d'imaginer ce qui pourrait advenir ou être, on se mélange les pinceaux. Et Amoz Oz nous en fait faire l'expérience. Que s'est-il réellement passé? Est-il monté chez la lectrice? A-t-il lu les poèmes du jeune auteur boutonneux? A chacun de voir. En tout cas, allez-y voir, c'est magnifique.




C'est comme ça que ça finit :

L'oiseau s'est tu. Dans le journal posé sur ma table de chevet, j'apprends que le poète est mort d'une crise cardiaque dans son sommeil, à l'âge de quatre-vingt-dix-sept ans, Ra'anana, la veille à l'aube. Il serait bon d'allumer la lumière de temps en temps pour voir ce qui se passe. Demain, il fera le même temps chaud et humide. Demain, autrement dit aujourd'hui.


Amoz Oz - Vie et mort en quatre rimes - Gallimard, 2008

jeudi 24 janvier 2013

Nos cheveux blanchiront avec nos yeux / Dictionnaire d'un amour




Deux pour le prix d'un. Je me suis laissé avoir en lisant les premiers instants des deux livres, me disant, aussi, que je pourrais les utiliser en atelier d'écriture, comme exemple simple et rapide de composer un texte. Cela reste valable, il y aura toujours moyen d'en faire quelque chose dans ce cadre. Pour le reste...

Voici deux livres qui pourraient être autant de résultats de blogging quotidien. Blogging quotidien, qui peut être intriguant, excitant, comme celui d'Eric Chevillard et son Autofictif. On en est loin. Très loin.

Le court texte de Thomas Vinau raconte les semaines qui précèdent et suivent la naissance de son premier enfant.  Avant naissance, monsieur s'en va se balader et vagabonder en Europe, histoire de décompresser sans doute. 


C'est la première partie et elle est assez plaisante. Un bonne partie de son périple, il se baladera avec un jeune merle dans la poche puis sur l'épaule. 

Il reviendra. Après la naissance, c'est la seconde partie, monsieur nous montre qu'il est père. C'est désormais son jeune enfant qu'il a dans le dos et avec qui il se balade.  Ca a l'air d'être emmerdant d'être père, en tout cas, on s'emmerde sec dans cette seconde partie, dans cette vie de père.

Le roman de David Levithan ne vaut guère mieux. On a un dictionnaire (A-Z) consacré à une histoire d'amour qui tourne mal.  De la première rencontre via un site internet à la séparation (probable), ce sont une cinquantaine d'entrées alphabétiques (abysse, cabrioles, etc.) qui racontent le quotidien parfois gnangnan, parfois ennuyeux de ce jeune couple. De trois lignes à une page et demi, ces bouts de bouts d'histoire lassent assez vite. 

Heureusement, c'est court (90 et 250 très courtes pages) et ça accompagne bien un ou deux trajets en bus ou assimilés.


C'est comme ça que ça se termine : 

Ca pourrait s'arrêter là. Il y aurait des rafales de gouttes contre les vitres. Un bébé qui a faim. Un chien, la truffe contre ma cuisse. Cette lumière tiède de pièce qu'on a pas aérée. Ca pourrait s'arrêter là. Je serais mal rasé. Tu baîllerais. Je poserais mon livre. Le ciel clignerait des yeux. Un sourire. Plus rien. 


Z

(...) Voilà, c'est maintenant - ce moment, juste avant que tu me dises ce que je ne veux pas savoir. Est-ce donc cela le zénith? Ce dernier moment d'ignorance?
Où advient-il beaucoup plus tard?


Thomas Vinau - Nos cheveux blanchiront avec nos yeux - Alma, 2011 (10/18, 2012 pour la présente édition)

David Lévithan - Dictionnaire d'un amour - Grasset, 2012




mercredi 23 janvier 2013

L'usine



Voilà un livre qui m'a énervé, agacé, foutu en rote!! Foutrement, vraiment!! Je suis allé jusqu'au bout, c'est bon signe finalement. Il ne laisse pas indifférent, Il fait réagir. Depuis longtemps, on me conseillait de le lire, alors ça a fini par arriver. Vincent De Raeve raconte donc l'usine. L'usine et pas le travail, dont il parle peu. Enfin l'usine, plutôt son usine. C'est ce côté "moi je sais, toi pas alors ferme-là!" qui notamment agace. Et puis, surtout, ce ton paternaliste quand il parle des autres ouvriers, de ses collègues/camarades de travail.  Oh bien sûr, on a bien lu et bien compris qu'il est en colère, en colère contre l'usine, les patrons, le monde comme il va mal, tous ceux (les autres pas lui) qui se contentent d'une petite vie médiocre, tous ceux (les autres) qui ne prennent pas la peine de montrer le bon chemin à leurs enfants, tous ceux (les autres) qui ne résistent pas... Et comme la colère, parfois, n'est pas bonne conseillère, on dit des bêtises ou on s'emporte.

S'il fallait avoir l'expérience de quelque chose pour pouvoir en parler; comme l'affirme Vincent De Raeve; la quasi totalité des livres seraient inutiles et non pertinents. Et quoi, je ne pourrais pas parler d'Hiroshima, du viol, de la Shoah, si je ne les ai pas vécus/subis?  Il est mal informé quand il s'en prend à Anna Sam et à 'Tribulations d'une caissière' au motif qu'on ne connait rien au travail de caissière quand on passe quelques semaines dans une grande surface en observation sociologique, alors qu'elle y travaillait comme caissière et qu'elle a rédigé un blog qui, succès aidant, est devenu un livre. Mais quand bien même, elle n'eut été que sociologue enquêteuse, elle aurait eu le droit de dire. Le recul est souvent absent et c'est souvent fatiguant.

Bon, dans la postface qu'il a écrit deux ans après avoir écrit ce texte, Vincent De Raeve reconnaît quelques maladresses. Il revient sur la rédaction de ce livre. C'est ce qui donne au texte un intérêt pour qui se lance dans l'écriture de son histoire ou d'une partie de celle-ci. On a ici un travail en cours, la naissance d'un écrivain, des pages qui permettent de prendre conscience de ce que le travail d'écriture signifie. C'est que malgré mes réserves, il reste un texte qui se lit, qui remue, qui force à aller jusqu'au bout.



C'est comme ça que ça finit :

Je suis ému et tranquille. Insatisfait et curieux, fragile. Destructible et invincible à la fois. Je pige un peu. A ma mesure. J'ai approché la liberté. Je l'ai même effleurée une ou deux fois, du bout des doigts. Je sais plus bien quand. Et c'est déjà pas mal pour une vie d'homme debout.


FIN


Vincent de Raeve - L'Usine - Couleurs Livres, 2006.


 

samedi 19 janvier 2013

Douze




On appelle ça la chance du débutant. Comme quand vous jouez aux échecs pour la première fois de votre vie et que vous battez un gars qui y joue depuis longtemps. La chance du débutant donc. Douze, Nick Mc Donell l'a écrit à 17 ans et a été publié.  Bon, c'est vrai que son père était un ponte d'Esquire et de Rolling Stone, qu'un des potes de la famille était Huner Thompson, ça doit aider. N'empêche que ce texte, qui a une dizaine d'années n'a pris aucun coup de vieux. Ca se lit vite, aussi vite que ça a été écrit, mais c'est le but. C'est que tout va très vite dans la vie des adolescents, on bouge vite, on baise vite, on se shoote vite, ... vite vite vite. 

Les 300 et quelques pages sont découpées en scènes/flashes/images très courtes qui montrent Hunter, Claude, Molly, Sara, ... et surtout White Mike aller d'un coup de leur vie à l'autre, d'un rendez-vous à l'autre, d'une idée à l'autre, sans beaucoup réfléchir. C'est que tout doit aller vite. On te bippe, tu vas livrer tes 50gr de shit. On te propose une fiesta, tu y vas. On fait mine de te braquer, tu tires le premier.

Douze, le nom d'une des drogues qui circule dans la ville, c'est une image d'une jeunesse d'un pays qui lui laisse des armes, de la drogue, de la baise en veux-tu en voilà, sans aucune réserve, sans aucun avertissement. Forcément, ça agite et ça chamboule. Et quand on n'a pas de réponses, à 17 ans, on fonce droit devant et on verra plus tard. Et le texte est réussi. Ca tient la route. Du coup, aux € 0,75 que m'a coûté Douze en seconde main, j'ai rajouté € 5, toujours en seconde main, pour Le prix à payer, que Nick Mc Donell a ramené de son "séjour" en Irak avec la première division de cavalerie de l'armée US. Je vous en parle une autre fois.


C'est comme ça que ça finit :

Le printemps est là et, quand il fait doux la nuit, je sors et je me balade. Je connais mieux cette ville de jour en jour. Je ne sais pas pourquoi mais Paris, c'est tellement mieux que New York. J'y trouve les vibes différentes, à moins que ce soit le fait de n'être qu'un étranger ici.


Nick Mc Donell - Douze - Denoël, 2002

jeudi 10 janvier 2013

Conversations avec Primo Levi




Entre 1982 et 1986, Ferdinando Camon et Primo Levi se sont rencontrés à plusieurs reprises, pour une série d'entretiens. Le livre, qui les reprend, paraîtra quelques semaines avant que Primo Levi se donne la mort, en 1987. Le thème central en est évidemment l'expérience du Lager et une réflexion sur la Shoah.

Cette soixantaine de pages sont une bonne introduction à l'oeuvre de Primo Levi, pas seulement les livres qu'il a consacré directement aux camps de travail et d'extermination et à la Shoah, les échanges entre les deux écrivains étant parsemés de réflexion sur l'écriture, le sens d'écriture cette expérience, mais aussi ce qui amène à l'écriture, et concerne aussi son oeuvre littéraire.

Ce qui est remarquable, et que souligne bien Ferdinando Camon, c'est la réserve de Primo Levi, son absence de jugements, de critiques, de haine envers le peuple allemand, ou ceux qui ont mal agit. C'est ce qu'il raconte, comment il le raconte, pourquoi il le raconte qui va conduire les lecteurs à être révolté, à crier.  La précision des descriptions (des dessins parfois), des souvenirs, des événements et l'aspect extrêmement objectif que cela prend entraîne un malaise, une révolte, un dégoût quasi immédiat.

Une des énigmes, outre celle finale de l'existence de Dieu après avoir vécu une telle expérience, qui parcourt le livre est celle de savoir ce qui a permis la Shoah, l'extermination des Tsiganes, ces millions de morts. Comment le peuple allemand a-t-il laisser faire? Pourquoi ceux qui savaient mais ne voulaient pas voir étaient-ils si nombreux?

Il ne faut cependant pas croire qu'il fut facile de dire, de raconter pour Primo Levi. Se résoudre à écrire, parvenir à revenir sur ce traumatisme fut une épreuve... mais parvenir à faire publier 'Si c'est un homme', fut compliqué, cela prit plusieurs années, notamment, dit Primo Levi, à cause du refus d'une " personnalité de la littérature italienne, juive"... il a fini par paraître et devenir une des oeuvres phare de la littérature concentrationnaire.


C'est comme ça que ça finit :


Camon - En d'autres termes : Auschwitz, il ne peut donc y avoir de Dieu?

Levi - Il y a Auschwitz, il ne peut donc y avoir de Dieu (Sur le dactylogramme, il a ajouté, au crayon :  Je ne trouve pas de solution au dilemme. Je la cherche, mais je ne la trouve pas.)

Ferdinando Camon - Conversations avec Primo Levi - Gallimard (Collection Arcades), 1991





mardi 8 janvier 2013

Nagasaki




Certains, quand ils entendent le mot culture, sortent leur fusil.
Moi, quand j'entends Nagasaki, je pense à "Nanana naaaagasaki... ne profite jamais...", je pense à Sttellla et à Jean-Luc Fonck. Je sais, on a les références qu'on peut, mais voilà, quand j'entends Nagasaki... alors, quand j'ai lu le titre du court roman d'Eric Faye, ni deux ni une, je l'ai emporté.  Et donc... les références... c'est peut-être ce qui me manque pour goûter pleinement ce texte tiré d'un fait divers, qui s'est déroulé à Nagasaki, en 2008.

Un homme, Shimura, météorologue, 56 ans, mène une vie professionnelle et privée aussi calme qu'ennuyeuse, réglée comme du papier à musique. C'est cette précision qui va lui faire prendre conscience que quelque chose se passe dans sa maison en son absence. Il cherchera à savoir, sans succès. Seul le placement d'une caméra reliée à son bureau donnera forme et sens à ses questions et son inquiétude. Il ira de surprise en surprise quand il saura qu'une femme a passé plus d'un an cachée dans un petit réduit à l'arrière de son appartement. Une femme sans emploi qui recherchait un endroit où se reposer, dans un premier temps, et qui s'y trouvant bien a décider d'y rester, aussi discrète qu'elle le pourrait. Elle sera découverte. Arrestation, procès, incarcération.

Pourtant, l'histoire n'est pas si simple. Le passé a parfois des tours étranges dans son sac. Je ne vous raconte rien de plus. Ce qui précède n'est pas un secret, vous le trouvez, en substance sur le quatrième de couverture.

Les regrets touchent au découpage brut et rapide entre deux parties, deux voix fort semblables. Une intrigue qui ne tient pas vraiment en éveil et une fin qui, intéressante et touchante; le poids des lieux dans notre éducation, notre formation, semble baclée... tellement de temps passé avec le météorologue méthodiquement ennuyeux, alors que l'héroïne et l'histoire c'est cette femme. C'est donc un roman japonais écrit par un Français, comme il l'aurait écrit si cela s'était passé à Maubeuge ou Chateauroux. Je le répète, je n'ai pas les références pour saisir les nuances que l'auteur a du mettre dans sa japonaiserie. Enfin, c'est court, c'est charmant et ça a gagné un grand prix. A vous de voir.


C'est comme ça que ça finit :

"On m'a fourni une nouvelle identité, des papiers tout neufs. J'ai vécu de divers emplois salariés et n'ai jamais pu saisir la seconde chance que m'offrait mon nouveau nom. Voilà."

 


Eric Faye - Nagasaki - Stock, 2010 (J'ai Lu, 2011 pour cette édition)

vendredi 4 janvier 2013

Une si jolie fermette



Voilà un joli cadeau à faire. Ou à vous faire. La période des fêtes et des cadeaux est passée? Allez allons, pourquoi s'arrêter à ce détail... Pour quelques sous, vous aurez un joli texte et de jolies illustrations.

Cette jolie fermette, c'est celle que loue un enseignant citadin ayant quitté la ville parce que ... parce que la ville, c'est parfois pratique, mais que la campagne ça offre de l'air ensapiné, du jambon et du sens à la vie. On pense à Larcenet et son "Retour à la terre". Car, on ne s'improvise pas habitant à la campagne, d'autant moins quand la maison où l'on vit craque, fuit et gèle de toutes parts.

Et puis, il y a l'école et ses cours de sciences, qui n'intéressent pas plus les élèves d'ici que de là-bas. Il y a la première réunion de parents où la maman de Pierre-Antoine tourneboule la tête du nouveau professeur. Il y a le verre entre collègues. Le reste, je vous le laisse découvrir. C'est moins cynique que d'habitude, chez Alain Bertrand, mais on s'amuse et c'est pas plus mal.


C'est ainsi que ça se termine :

Revenu à la réalité, je retournai cahin-caha dans le congélateur de la nuit.
J'avais des joints à changer.
Et un pigeon à trouver pour louer la fermette à ma place.


Une si jolie fermette - Alain Bertrand, illustrations de Daniel Casanave - Finitude, 2012