lundi 25 février 2013

Betty




Je me suis rappelé que j'avais lu "La voix" un autre polar d'Indridasson, et que je m'étais ennuyé, vers le tiers du livre, au moment où je commençais à m'ennuyer. Et puis, il y a une pirouette, une trouvaille, qui relance la mécanique et l'intérêt et on se dit "Ah ouééé", et on reprend l'histoire avec entrain.  Mais bon, on reste dans du classico-classique : amour, argent, trahison,...  On navigue en pilotage automatique et se laisse aller jusqu'à la dernière page, plus par habitude de terminer un livre qu'autre chose.

Donc, si vous n'avez pas cette sale habitude, vous savez ce que vous risquer de faire.

Reste ces quatre utilisations de "commisérations" ... je ne crois pas avoir lu autant de fois ce mot durant toute ma carrière de lecteur... Les voies du traducteur sont parfois impénétrables...



 C'est comme ça que ça se termine :

Je me recroqueville sous la couette. Parfois, les souvenirs m'assaillent avec tellement de violence que j'en pleure.
Comme elle me manque.
Comme ils me manquent ses doux baisers sur mon corps.
Ô Betty...



Arnaldur Indridasson - Betty - Editions Métailié, 2011 (Points Roman Noir, 2012 - Pour cette édition)

vendredi 15 février 2013

Aurais-je été résistant ou bourreau?



Voilà une question qu'il nous est arrivé de nous poser. Qu'aurions-nous fait durant la Seconde Guerre mondiale? Pierre Bayard prend cette question à bras le corps et tente de se mettre en situation. Evidemment, avec le recul, tranquille devant un écran d'ordinateur ou de télévision, autour d'une table avec des amis, avec la connaissance de l'histoire, du déroulement de la guerre et de son dénouement, nous répondons aisément que nous aurions été résistant, que nous aurions sauvé la veuve, l'orphelin et le juif qui le demandaient.  Ca, c'est pour la galerie, la façade et la discussion de bistrot.  Plus sérieusement, Pierre Bayard se demande ce qui fait qu'on s'engage ou non en résistance face à quelque chose qui est totalement à l'opposé de nos valeurs? Il ne s'agit pas de s'engager en parole, mais en acte. Qu'est-ce qui fait qu'à un moment certains décident de mettre leur vie en jeu, de prendre le risque de tout perdre pour lutter? C'est qu'ils/elles sont rares.

Pour cela, l'auteur passe en revue une série de situations et de personnes Daniel Cordier, maurassien qui fut secrétaire de Jean Moulin à l'insu de son plein fré, Romain Gary, qui part en Angleterre rejoindre De Gaulle, Sousa Mendes, ambassadeur portugais du régime de Salazar qui délivre des visas à tour de bras aux personnes juives qui fuient la France. Ceux-là, mais aussi les Justes anonymes qui ont cachés des juifs ou des Tutsis lors du génocide rwandais.

Mais Pierre Bayard se pose la question pour lui-même. Pour aborder sérieusement cette question, il développe le concept de "personnalité potentielle", c'est-à-dire cette partie de notre personnalité qui ne surgit et ne se développe que dans des circonstances exceptionnelles. Il s'agit de prendre quelqu'un de proche en terme d'éducation, de personnalité qui aurait vécu à cette époque, car se prendre comme modèle aujourd'hui n'a aucune pertinence. La personnalité qu'il considère comme la plus proche est son père. Le voilà donc étudiant à l'Ecole Normale comme lui, au moment où la guerre éclate et où la France capitule. Le Régime de Pétain s'installe. Avec pertinence et précision, Pierre Bayard cherche ce moment où il aurait basculé. Il a recours aux parcours des résistants cités avant, mais aussi au personnage de Lacombe Lucien dans le film de Louis Malle; aux membres du 101e Bataillon de la police allemande qui ont tués plus de 83.000 juifs, mais aussi à ceux qui ont refusé de participer à ces massacres; il revient sur les expériences de Milgram sur la soumission à l'autorité; s'intéresse aux massacres perpétrés par les Khmers rouges, à la Guerre en Yougoslavie.

Il cherche le point de bascule qu'il décèle chez ceux qui sont devenus des résistants ou des Justes. Comment dépasser la simple empathie, essentielle, et le refus catégorique,  qui ne sauvent pas forcément quelqu'un de la mort. Il cherche, cherche et peine à trouver. C'est que ce n'est pas simple de s'opposer quand la violence, la torture et la mort sont plus que vraisemblable. La peur physique n'a rien de très attirant, ni pour soi, ni pour ses proches.

Ce point existe - respect du patriotisme maternel chez Gary, respect des préceptes religieux cez certains, respect de la vie humaine chez les Justes/Sauveurs, "On ne pouvait pas faire autrement" répondent-ils simplement - mais il n'est pas facilement situable, encore moins certain. Dans son parcours d'étudiant en ce début de guerre, Pierre Bayard le situe peut-être au moment où le travail obligatoire est instauré et où l'université offre la possibilité aux étudiants d'y échapper. Maigre consolation face au courage de certains. C'est que c'est un fameux miroir que Pierre Bayard nous tend là : qui sommes-nous réellement? Car nous le savons bien, c'est dans des situations extrêmes que notre personnalité se révèle. Nous y avons sans doute, peut-être, été confronté, le temps d'une agression, le temps d'un accident ou d'un drame collectif, ... qu'avons-nous fait? à qui avons-nous d'abord pensé? qui avons-nous aidé... ou pas?

Comme à son habitude, Pierre Bayard propose une lecture plus littéraire à son essai. Outre son grand intérêt historique, intellectuel, c'est aussi une belle leçon sur la manière d'écrire et de raconter et de construire des personnages et des destins crédibles.


C'est comme ça que ça finit :

Cette variabilité de la personne, soumise de manière expérimentale à des situations inédites visant à se révéler à elle-même, n'est pas à négliger sur le plan scientifique, car elle permet de mieux comprendre, en nous immergeant dans l'Histoire et en nous extrayant du contexte réducteur de l'époque présente, ce que, au-delà du vernis des contingences, nous sommes en vérité.


Pierre Bayard - Aurais-je été résistant ou bourreau? - Editions de Minuit, 2013

mardi 5 février 2013

De l'art d'ennuyer en racontant ses voyages




Des touristes, il y en a partout, nous en sommes entourés, certains de nos amis en sont, et nous mêmes le sommes parfois.

Les touristes, non seulement, ça encombre les rues et les alentours des monuments, ça fait augmenter les prix de certaines gargotes, ça bruite dans toutes les langues, ça râle et ça s'agite, ... mais surtout ça raconte leurs voyages!  Si l'on échappe désormais aux soirées dias, il a fallu déchanter très vite avec l'arrivée des appareils numériques et leur diaporamas interminables. C'est qu'au contraire du voyageur, qui garde les choses pour lui ou les révèle par écrit et avec parcimonie, le touriste parle et raconte son trip.

Si vous ne partez jamais et que vous avez envie d'étrangler ceux qui vous racontent leurs voyages, ce livre est pour vous.  Si les descriptions à répétition du Taj Mahal, de la Tour Eiffel, des tours de Dubaï, des repas de rue à Bangkok, de la route 66 ont fini par vous dégoûter de ces endroits, ce livre est pour vous. Vous y apprendrez comment rendre la pareille à ces 'exploraseurs' : comment organiser votre récit, comment vous appesantir sur des photos sans intérêt, comment allonger la sauce de l'anecdote, comment emmerder votre auditoire que vous aurez appris à prendre en otage, ...

Un must!


C'est comme ça que ça finit :

Marquez un long silence. Avancez-vous calmement vers une fenêtre. Interrogez l'horizon du regard et concluez : "Le monde est un livre ouvert dont il reste tant de pages à parcourir. Mais le plus beau voyage n'est-il pas celui qu'on n'a pas encore fait?"


Matthias Debureaux : De l'art d'ennuyer en racontant ses voyages - Editions Cavatines, 2005

vendredi 1 février 2013

Raging Bull




L'entrée du livre de Jake LaMotta (écrit en collaboration avec ... il a donc répondu à quelques questions et raconté) dit bien ce qui attend la majorité des enfants des classes ouvrières et pauvres, et d'autant plus ceux qui sont enfants de migrants comme l'est LaMotta, une scolarité brinquebalante et inutile, un logement misérable où on ne veut pas être, la rue comme lieu de vie, des petits coups par ci par là, une ou plusieurs arrestations, la maison de correction (ou variantes) ou/puis la prison.  Pour peu que l'on soit une tête dure, ça risque de plus mal se passer encore. Est résumé là la plupart des ouvrages de sociologie qui ont étudié ces questions.

C'aurait pu être le cas pour Jake LaMotta. En enfermement, il apprendra la boxe. Sa hargne, sa colère, son besoin de se racheter, la nécessité d'être puni, d'être corrigé, de prendre des coups pour un méfait commis adolescent, en ont fait une figure mythique de ce sport.  Les combats contre Sugar Ray Robinson et Marcel Cerdan sont restés des repères dans l'histoire de la boxe. Le sport comme voie de sortie de la misère et de sa condition, un autre classique que revisite le récit de LaMotta.

Le récit proposé par le trio est à l'image de cette vie vécue au rythme des sauts à la corde, des directs du gauche, des coups qui pleuvent et sonnent de plus en plus durement.  La troiscentaine de pages défilent comme ces rounds où l'on ne s'ennuie pas. Bien sûr, c'est un sale type comme on dit, en tout cas, ce n'est pas un enfant de choeur. Le film qu'a fait Martin Scorsese de ce récit (paru en 1980 au Presses de la Cité, et c'est une bonne chose que 13e Note le réédite) est fidèle, et il n'y avait sans doute que Robert de Niro pour incarner cette masse de muscles et de rage toujours prête à exploser.

C'est brutal, ça cogne juste et fort, ça laisse peu d'espoir, mais, allez-y c'est fascinant.


C'est comme ça que ça finit :

D'accord, j'ai touché le fond mais je m'en sortirai, je me battrai à nouveau, cette fois sans haine ni peur. Pas contre quelqu'un, simplement pour moi. Je me battrai pour bâtir non pour détruire. Et si je me bats assez longtemps et assez fort, peut-être que j'arriverai à me faire applaudir encore.

Qui sait? Peut-être que j'y arriverai


Jake LaMotta, en collaboration avec Joseph Carter et Peter Savage - Raging Bull - 13e Note, 2013