samedi 12 mars 2016

Numéro Zéro




Ah les coïncidences… Par exemple, l’autre soir. Je me décide enfin à commencer à lire le dernier roman de Umberto Eco, acheté quelques semaines plus tôt. Et qu’est-ce qu’on m’apprend le lendemain matin? Il est mort! Umberto Eco, “L’auteur du Nom de la rose, sémiologue, philosophe, professeur d’université (etc.)” est mort. Coïncidence…? Je ne crois pas. Il y a certainement un lien. Mais bon, je m’emballe un peu, parce que il se dit que ce ne serait pas Umberto Eco qui a écrit ce dernier roman. Il aurait été écrit par un de ses ex-collègues menaçant de révéler comment Umberto Eco aurait faciliter le passage de Salah Abdesslam vers San Marino. Il aurait été obligé de le signer, parce que Eco ça fait vendre. On est sûr de rien, mais il n’y a jamais de fumée sans feu. Et qu’en cherchant, en fouillant un peu on finit toujours par trouver quelque chose.

C’est ce que se dit Simei, celui qui engage Colonna pour rendre compte dans un livre de l’expérience, qui sera avortée,de “Domani”, un quotidien qui sera créé endéans l’année et qui aura comme objectif de révéler tout ce que les puissants cachent. Je (vous) passe les détails de l’histoire, mais en gros, la dizaine de journalistes,  engagés pour une année, sont chargés de travailler à un projet de quotidien qui révélera la face cachée des choses. Le projet de celui qui finance l’affaire étant de faire peur aux-dits puissants en leur présentant un antipasto de ce que ce journal pourrait révéler les concernant. Que cela soit vrai ou faux, cela importe peu, car il en restera toujours quelque chose dans la tête des lecteurs. Le projet de Simei, à travers le livre écrit par Colonna étant de menacer le commanditaire de tout balancer dans ce livre, de dire que ce projet n’était qu’un leurre destiné à faire payer les tout-puissants, de les forcer à l’adopter dans leur monde. Sauf que bien entendu, une des enquêtes en cours pour le numéro zéro de Domani – la possibilité que ce soit un sosie de Mussolini qui ait été tué et que le vrai Benito ait trouvé refuge en Argentine, aidé par ceux-ci et par ceux-là, dans l’attente d’un moment propice pour revenir – va bouleverser tout cela. Braggadocio, celui qui a levé ce lièvre et qui fouille et fouille dans l'histoire italienne, disparait.

La leçon de journalisme donnée par Eco est magistrale. Il montre qu’il n’a pas falu attendre l’ère de l’internet, le roman se passe en 1992, pour voir exister d’innombrables théories du complot; la salle de rédaction de Domani en est remplie. Il dénonce aussi, par là, les mauvaises relations qu’entretient depuis longtemps la presse avec les pouvoirs, des relations qui parfois brouillent le vra du faux. Qui nous dit que telle révélation n’est pas le fait d’une volonté d’untel à nuire à untelle autre?  Cependant, hormis la leçon magistrale sur les médias et leur fonctionnement, on s’ennuie un peu beaucoup. Il y a bien quelques passages assez drôles lors des réunions de rédaction, mais c’est tout. C’est un peu prévisible et un peu longuet. Bref, on attendait mieux. Sauf que, c’est peut-être la preuve que ce n’est pas Eco qui a écrit ce livre.

C’est comme ça que ça se termine : L’île Saint-Jules resplendira de nouveau sous le soleil.

Umberto Eco :  Numéro Zéro - Grasset, 2015

mardi 8 mars 2016

No Women's Land



« Quitter un pays où la vie ne vaut rien, prendre la route par ses propres moyens, s’injecter un contraceptif en sachant que le viol est le prix à payer pour franchir les frontières sans argent ni papiers… Les femmes migrantes affrontent la violence du monde. Je suis partie à leur rencontre en Amérique centrale pour connaître ce qu’elles vivent lors de leur traversée clandestine. »

Ces premières lignes sont en (très) résumé ce que raconte le livre de Camilla Panhard.  Un livre claque, coup de poing, brutal, violent, sans grand espace pour l’espoir. L’auteure a suivi les trajets de celles qui tentent de rejoindre les Etats-Unis. Depuis l’Amérique centrale, le Honduras, le Guatemala, le Salvador, elles tentent d’échapper à la misère, à la violence, à la persécution dont sont victimes les femmes, le Mexique est le dernier immense piège auquel échapper. Beaucoup n’y parviendront pas. Les prédateurs et charognards sont nombreux, très nombreux. Comme des milliers de femmes mexicaines, elles seront enlevées, violées, tuées, prostituées, elles seront considérées comme des bouts de viande qu’on peut écrabouiller, déchiqueter, jeter, et sur lesquels on finira par cracher… Féminicide. A un moment du livre, Camilla Panhard utilise ce terme qui depuis quelques années est une circonstance aggravante pour une agression ou un meurtre sur une femme, c’est dire si le nombre de ces crimes est élevé. Au début des années 2000, on a beaucoup parlé de Ciudad Juarez et de ces milliers de cadavres et de disparitions de femmes qui y ont eu lieu. Mais depuis c’est tout le Mexique qui est concerné, qui en parle par ici ?

Le livre est fait de paragraphes courts qui comme des instantanés pris à la volée rendent compte de bouts d’histoires, de morceaux de vie. L’auteur va à l’essentiel, dit, crie, montre l’horreur. Qu’elle sait, qu'elle voit, qu’elle imagine, qu’on lui raconte. Le danger est partout. Des gamines se font enlever sur le chemin de l’école. Des jeunes femmes sont sorties de force d’un autobus. D’autres tombent dans un piège que leur aura tendu un passeur, un policier ou une bonne sœur. Le danger est partout et sans visage. Le bruit d’un moteur qui s’emballe est le signal d'une course effrénée pour celles qui tentent d’échapper à une mort plus ou moins lente. Un coup de téléphone. Des pas. Une ombre. Un regard insistant. Une ruelle à emprunter. Tout est menace et danger potentiels. Où sont passées toutes ces femmes ? Beaucoup finiront dans des bordels américains, beaucoup seront violées et tuées, beaucoup disparaitront sans que personne ne sache si elles vivent toujours. Ce que décrit l’auteure est un véritable carnage.

Si le livre a pour « décor » l’Amérique centrale, et en particulier le Mexique, ce qui est dit là vaut sans doute aussi pour les femmes qui migrent partout ailleurs dans le monde. La violence que décrit Camilla Panhard est certainement particulière, les cartels mexicains sont d’une sauvagerie hors du commun. Mais là où l’Etat, l’autorité publique fait défaut, démissionne ou est complice du crime organisé, la place est toujours prise par un autre pouvoir, sans lois sinon celle du profit immédiat et de l’exploitation des corps sans pitié aucune. Cela vaut pour la frontière entre le Mexique et les Etats-Unis, mais aussi pour celles entre l’Europe et l’Afrique ou l’Orient, plus ou moins proche, qui sont des lieux où les femmes sont des proies, des victimes potentielles pour des hommes qui ne voient en elles qu’un corps qu’on peut maltraiter et exploiter.

Camilla Panhard – No Women’s Land – Les arènes, 2016