mardi 15 février 2011

Julius Winsome



Je ne comprendrai jamais rien au choix d'inclure un roman dans une collection 'polar' ou pas.  Sinon, sans doute, que quand on a affaire à un roman noir, on est quasiment certain que ce sera un excellent roman.  La construction, le style, l'histoire, les personnages.  Rien ne sera laisser au hasard.  On est loin du nombril qui s'interroge sur le café qu'il a bu le matin de la veille. Et en tout cas, le café sera meilleur.

Julius Winsome vit dans le Maine, au milieu de nulle part, avec son chien et ses quelque 3.000 livres, légués par son père. La nature et les mots suffisent à son bien-être.  Les forêts du Maine sont aussi le terrain de chasse pour beaucoup.  Le chien de Julius en sera victime. Julius Winsome va perdre la tête et traquer le coupable.  Il ne fera pas dans le détail.

Dis comme ça, cela n'a l'air de rien.  Mais allez-y franchement, c'est un texte prenant, qu'on ne lâche pas.  On devine ce qui va se passer, mais peu importe, c'est comment est raconté ce qui se passe qui compte.  C'est le premier roman de Gerard Donovan traduit en français.  Vite les autres.


Et puis, nouveauté chez les libraires, le trimestriel Alibi, qui se propose d'éclairer la fiction par la réalité.  Dans ce premier numéro, un dossier sur l'entrée en écriture de flics et voyous (ex?  vraiment??), qui racontent quoi comment?  Cela a servi à quoi d'en passer par là? Et puis, il reste les jalousies, une autre gueguerre des polices par scénarios et films interposés.  Je retiendrai l'interview de Abdel Hafed Benotman, dix-sept ans de maizonzon.
Et il y a cet hommage au photographe/documentariste Christian Poveda et à son documentaire La Vida loca, consacré aux Maras, gangs d'Amérique Centrale.  Il a été exécuté par un membre de ces gangs, il y a un an.  Restent le film et des photos, dont quelques-unes sont reprises ici.
Et puis, il y a des tas d'autres choses, des interviews, des recensions qui donnent envie (pas que des livres, mais aussi des films, de la musique), des découvertes... Pas mal quoi.

Gerard Donovan - Julius Winsome - Points Roman noir, 2010 (Le Seuil, 2009)
Alibi, 2011

vendredi 11 février 2011

Et je me suis mis à penser à




Je n’ai pas lu ‘La sardine du Cannibale’, mais il me plait déjà.  Enfin, Majid Bâ, le livre, je ne sais pas, je vous dirai.   Majid Bâ tient l’envie d’écrire de son père.  On sait que l’envie n’est pas tout, il faut parfois passer à l’acte, et pour ça, il faut souvent une bonne raison. Il dit : L’idée est venue dès mon arrivée en France en 2003, dès l’entretien avec mon premier patron. Le deuxième déclic, c’est quand mon visa a expiré. Je me suis dit: «Majid, demain c’est foutu, là va commencer ta vie de clandestin. Il faut que tu commences à écrire, tu dois raconter ce que tu vas vivre» ; ou dit encore : L’écriture m’a beaucoup aidé, c’était mon compagnon. J’écrivais à la main, toujours la nuit, je notais les dates. Chaque fois que je changeais d’hôtel, de chambre, j’emmenais mes classeurs. Je pouvais tout perdre mais mon manuscrit c’était ma vie. Je me sentais fort quand j’écrivais, c’était une forme de thérapie, le seul moment où je me sentais moi-même. Le soir, j’écrivais tout ce que j’avais souffert la journée. Ensuite, j’étais bien. J’imaginais qu’un jour ça servirait…
Et je me suis mis à penser à Patrick Poivre d’Arvor... allez savoir pourquoi, sans doute parce que Majid Bâ est sénégalais, et que les idées s’associant, j’ai pensé à nègre ; oui oui, il y a certainement un fond raciste là-dedans.  J’ai aussi pensé à Erri de Luca quand il raconte ses journées de travail comme maçon et les heures volées au sommeil pour écrire, lire et traduire.  Et je me suis mis à penser à Philippe Sollers et sa vie dans les palaces vénitiens où il tue le temps en se prenant pour un écrivain.  Et je me suis mis à penser aux Jack, London et Kerouac, à Annie Dillard, à Isabelle Eberhardt, à Julio Cortazar... ceux pour qui écrire est une expérience physique.  Et je me suis mis à penser aux mille et aux cents qui allaient tout à coup s’intéresser à Hemingway, et qui auront, au mieux, lu ‘Le vieil homme et la mer’ mais qui trouveront que décidément PPDA il écrit bien quand même.  Et je me suis mis à penser aux mille et aux cents qui liront ‘Trésor d’amour’ et qui parcourront Venise comme la masse que Sollers abhorre.

En vérité, je vous le dis, lire n’est pas toujours bon pour moi.


 

mardi 8 février 2011

Cher Diego, Quiela qui t'embrasse



Elena Poniatowska vient de gagner le Premio Biblioteca Breve pour 'Leonora', qui s'inspire de la vie de Leonora Carrington, écrivaine et peintre, et de sa relation avec Max Ernst.  Et bien, cela me fait plaisir.  Je n'ai pas lu 'Leonora'; qui paraîtra en Espagne le 22 février, mais je sais que je n'attendrai pas la traduction française.

Elena Poniatowska c'est 'Cher Diego, Quiela qui t'embrasse'.  C'est drôle comme une histoire, un livre peut vous changer.  Et pas spécialement en bien.  'Cher Diego...' c'est l'histoire de la fin de la relation entre Angela Beloff et Diego Rivera, raconté par la correspondance qu'Angela envoie à Diego, parti au Mexique, qui ne répondra jamais et n'en reviendra pas.  Il avait mieux à faire avec Frida Kahlo.  Cette correspondance est belle et émouvante.  Evidemment, on sait qu'il ne reviendra pas, qu'il ne la fera jamais venir, et elle restera donc à Paris.  On sait, et c'est d'autant plus tragique.

C'est à cause de ce texte que je n'ai jamais aimé Frida Kahlo.  Je ne la connais pas.  J'ai vu des photos.  Je suis allé voir l'une ou l'autre exposition de ses toiles. Et je ne l'aime pas.  C'est totalement irrationnel, je sais, mais voilà, depuis la lecture des lettres d'Angela, je ne la supporte pas, alors qu'elle n'est, sans doute, responsable de rien et que Madame Rivera ne la connait pas, ou ne veut pas écouter ceux qui lui en parlent.   C'est la force de ce texte, très court, que de faire sentir le désarroi, la peine, la tristesse, l'amour de celle qui, petit à petit, malgré tout, apprend à ne pas se résigner.

Alors, voilà, je souris de savoir que Elena Poniatowka a reçu un des prix les plus prestigieux de la littérature hispanique.  C'est qu'elle, je l'aime.  Et c'est, bien entendu, totalement irrationnel aussi.

Elena Poniatowska - Cher Diego, Quiela qui t'embrasse - Actes Sud, 1984 (première édition)


dimanche 6 février 2011

Vrain Lucas



Les éditions Allia ont le chic pour aller chercher l'improbable et le surprenant.  Ceci, par exemple.  Réédition d'un texte paru en 1924.  Georges Girard y rend hommage à un très illustre inconnu, Vrain Lucas (aucun lien de parenté avec Georges).  Homme d'une pas glorieuse origine, il fut, semble-t-il, obsédé par les livres, au point de passer l'essentiel de son temps dans des bibliothèques.  En 1852, il monte à Paris.  Il y rencontre Michel Chasles collectionneur frénétique d'autographes et de lettres rares.  Le Sieur Chasles a beau être membre de l'Institut, il est avant tout aveuglé par les chimères qu'il poursuit, dès lors, Lucas va lui en donner plus qu'il n'en a rêvé.  Il aurait rencontré un vieil homme, très endetté, qui dispose d'un trésor, des milliers de lettres accumulées au long de sa vie, des lettres des plus illustres personnages de l'Histoire.  C'est ainsi qu'il va lui vendre des lettres de... Marie-Madeleine à son frère Lazare, de Cléopâtre à César, de Newton à Pascal, de Jeanne d'Arc à ses parents, de Charles-Quint à Rabelais... tout ceci rédigé dans un français de l'époque... car tout le monde sait que César ou Platon maîtrisaient le français de l'époque... Tout aurait pu continuer ainsi longtemps - le flatteur vit aux dépends de celui qu'il flatte n'est-il pas - si le Sieur Chasles n'avait pas eu la mauvaise idée de montrer ses trésors à des savants qui n'étaient nullement collectionneurs et encore moins aveuglés.  On imagine la suite.  La défense de Vrain Lucas fut à la hauteur de son culot... il a fait tout cela pour la grandeur de la France... c'est que tous ceux dont ils possédaient les courriers font l'éloge de la France : Cléopâtre envoie Césarion parfaire son éducation à Marseille, Newton reconnaît à Pascal la primauté de l'énonciation des lois de la gravitation... Improbable et surprenant je vous dis.

Vrain Lucas : le parfait secrétaire des grands hommes - Georges Girard - Allia, 2002 (Première édition, La Cité des Livres, 1924)

Quelques extraits de ces lettres

mardi 1 février 2011

Toxique / Chucho









Françoise Sagan a la vingtaine d’années joyeuse quand elle carambole dans le décor avec sa voiture.  Trois mois de soins, de rééducation et aussi d’intoxication/addiction à un ersatz de la morphine, le palfium 875.  La voilà donc partie pour une désintoxication.  C’est pas folichon, on s’en doute.  Et comme elle n’arrive pas à se mettre à l’écriture d’une nouvelle, elle lit et rédige le journal de son séjour.  Enfin, journal c'est un bien grand mot.

Paru en 1964, ‘Toxique’ devait sans doute profiter du succès de Françoise Sagan à cette époque.  Pourquoi rééditer ça aujourd’hui ?  Parce que c’est franchement fond de tiroir genre je m’emmerde et je vous le dis en 63 phrases.  L’objet n’est pas mal, c’est plein d’illustrations de Bernard Buffet, heureusement. Sinon, pas grand chose.

Pour le reste J’aimerais écrire des choses qui se passent en Espagne, avec du sang et de l’acier, ou à Florence sous les Borgia ( ?) mais non. Mon domaine c’est apparemment « il a mis le café dans la tasse, il a mis le lait dans le café, il a mis du sucre, etc. » C’est elle qui le dit...

Et puis, lu aussi et décevant aussi, Chucho.  Chucho, c'est vingt-quatre heures dans la vie d'un gamin de Barcelone.  Chucho a 11 ans, il sert de rabatteur à la brute Belito, il racole des touristes et leur propose de jeunes blondes de l'Est.  Il dort chez la Dumbre, vieille pute qui ne vit que pour sa lampe à huile et que Belito bourre de stupéfiants pour qu'elle la ferme.  La nouvelle fait le tour des gamins, la Polaca a été assassinée et on a même retrouvé son estomac dans une rue voisine... Chucho était le protégé de la Polaca, à qui il trouvait des clients, qu'ils cachaient à Belito. Il est bouleversé et apeuré. Et si c'était le dernier client, Hans, qui l'avait tué. On s'ennuie.  C'est à Barcelone, mais cela pourrait être à Jodoigne.  Pas vraiment d'intrigue.  Pas vraiment de peps. Pas vraiment d'écriture.

Françoise Sagan – Toxique – Le Livre de Poche, 2011 (Stock, 2009 ; Julliard, 1964)

Grégoire Polet - Chucho - Folio, 2010 (Gallimard, 2009)