vendredi 15 février 2013

Aurais-je été résistant ou bourreau?



Voilà une question qu'il nous est arrivé de nous poser. Qu'aurions-nous fait durant la Seconde Guerre mondiale? Pierre Bayard prend cette question à bras le corps et tente de se mettre en situation. Evidemment, avec le recul, tranquille devant un écran d'ordinateur ou de télévision, autour d'une table avec des amis, avec la connaissance de l'histoire, du déroulement de la guerre et de son dénouement, nous répondons aisément que nous aurions été résistant, que nous aurions sauvé la veuve, l'orphelin et le juif qui le demandaient.  Ca, c'est pour la galerie, la façade et la discussion de bistrot.  Plus sérieusement, Pierre Bayard se demande ce qui fait qu'on s'engage ou non en résistance face à quelque chose qui est totalement à l'opposé de nos valeurs? Il ne s'agit pas de s'engager en parole, mais en acte. Qu'est-ce qui fait qu'à un moment certains décident de mettre leur vie en jeu, de prendre le risque de tout perdre pour lutter? C'est qu'ils/elles sont rares.

Pour cela, l'auteur passe en revue une série de situations et de personnes Daniel Cordier, maurassien qui fut secrétaire de Jean Moulin à l'insu de son plein fré, Romain Gary, qui part en Angleterre rejoindre De Gaulle, Sousa Mendes, ambassadeur portugais du régime de Salazar qui délivre des visas à tour de bras aux personnes juives qui fuient la France. Ceux-là, mais aussi les Justes anonymes qui ont cachés des juifs ou des Tutsis lors du génocide rwandais.

Mais Pierre Bayard se pose la question pour lui-même. Pour aborder sérieusement cette question, il développe le concept de "personnalité potentielle", c'est-à-dire cette partie de notre personnalité qui ne surgit et ne se développe que dans des circonstances exceptionnelles. Il s'agit de prendre quelqu'un de proche en terme d'éducation, de personnalité qui aurait vécu à cette époque, car se prendre comme modèle aujourd'hui n'a aucune pertinence. La personnalité qu'il considère comme la plus proche est son père. Le voilà donc étudiant à l'Ecole Normale comme lui, au moment où la guerre éclate et où la France capitule. Le Régime de Pétain s'installe. Avec pertinence et précision, Pierre Bayard cherche ce moment où il aurait basculé. Il a recours aux parcours des résistants cités avant, mais aussi au personnage de Lacombe Lucien dans le film de Louis Malle; aux membres du 101e Bataillon de la police allemande qui ont tués plus de 83.000 juifs, mais aussi à ceux qui ont refusé de participer à ces massacres; il revient sur les expériences de Milgram sur la soumission à l'autorité; s'intéresse aux massacres perpétrés par les Khmers rouges, à la Guerre en Yougoslavie.

Il cherche le point de bascule qu'il décèle chez ceux qui sont devenus des résistants ou des Justes. Comment dépasser la simple empathie, essentielle, et le refus catégorique,  qui ne sauvent pas forcément quelqu'un de la mort. Il cherche, cherche et peine à trouver. C'est que ce n'est pas simple de s'opposer quand la violence, la torture et la mort sont plus que vraisemblable. La peur physique n'a rien de très attirant, ni pour soi, ni pour ses proches.

Ce point existe - respect du patriotisme maternel chez Gary, respect des préceptes religieux cez certains, respect de la vie humaine chez les Justes/Sauveurs, "On ne pouvait pas faire autrement" répondent-ils simplement - mais il n'est pas facilement situable, encore moins certain. Dans son parcours d'étudiant en ce début de guerre, Pierre Bayard le situe peut-être au moment où le travail obligatoire est instauré et où l'université offre la possibilité aux étudiants d'y échapper. Maigre consolation face au courage de certains. C'est que c'est un fameux miroir que Pierre Bayard nous tend là : qui sommes-nous réellement? Car nous le savons bien, c'est dans des situations extrêmes que notre personnalité se révèle. Nous y avons sans doute, peut-être, été confronté, le temps d'une agression, le temps d'un accident ou d'un drame collectif, ... qu'avons-nous fait? à qui avons-nous d'abord pensé? qui avons-nous aidé... ou pas?

Comme à son habitude, Pierre Bayard propose une lecture plus littéraire à son essai. Outre son grand intérêt historique, intellectuel, c'est aussi une belle leçon sur la manière d'écrire et de raconter et de construire des personnages et des destins crédibles.


C'est comme ça que ça finit :

Cette variabilité de la personne, soumise de manière expérimentale à des situations inédites visant à se révéler à elle-même, n'est pas à négliger sur le plan scientifique, car elle permet de mieux comprendre, en nous immergeant dans l'Histoire et en nous extrayant du contexte réducteur de l'époque présente, ce que, au-delà du vernis des contingences, nous sommes en vérité.


Pierre Bayard - Aurais-je été résistant ou bourreau? - Editions de Minuit, 2013

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