« Quitter un pays où la vie ne vaut
rien, prendre la route par ses propres moyens, s’injecter un contraceptif en
sachant que le viol est le prix à payer pour franchir les frontières sans
argent ni papiers… Les femmes migrantes affrontent la violence du monde. Je
suis partie à leur rencontre en Amérique centrale pour connaître ce qu’elles
vivent lors de leur traversée clandestine. »
Ces premières lignes sont en (très) résumé
ce que raconte le livre de Camilla Panhard.
Un livre claque, coup de poing, brutal, violent, sans grand espace pour l’espoir.
L’auteure a suivi les trajets de celles qui tentent de rejoindre les
Etats-Unis. Depuis l’Amérique centrale, le Honduras, le Guatemala, le Salvador, elles tentent d’échapper à la misère, à
la violence, à la persécution dont sont victimes les femmes, le Mexique est le
dernier immense piège auquel échapper. Beaucoup n’y parviendront pas. Les
prédateurs et charognards sont nombreux, très nombreux. Comme des milliers de
femmes mexicaines, elles seront enlevées, violées, tuées, prostituées, elles
seront considérées comme des bouts de viande qu’on peut écrabouiller,
déchiqueter, jeter, et sur lesquels on finira par cracher… Féminicide. A un moment du livre,
Camilla Panhard utilise ce terme qui depuis quelques années est une
circonstance aggravante pour une agression ou un meurtre sur une femme, c’est dire si le
nombre de ces crimes est élevé. Au début des années 2000, on a beaucoup parlé
de Ciudad Juarez et de ces milliers de cadavres et de disparitions de femmes
qui y ont eu lieu. Mais depuis c’est tout le Mexique qui est concerné, qui en
parle par ici ?
Le livre est fait de paragraphes courts qui
comme des instantanés pris à la volée rendent compte de bouts d’histoires, de
morceaux de vie. L’auteur va à l’essentiel, dit, crie, montre l’horreur.
Qu’elle sait, qu'elle voit, qu’elle imagine, qu’on lui raconte. Le danger est partout. Des
gamines se font enlever sur le chemin de l’école. Des jeunes femmes sont
sorties de force d’un autobus. D’autres tombent dans un piège que leur aura
tendu un passeur, un policier ou une bonne sœur. Le danger est partout et
sans visage. Le bruit d’un moteur qui s’emballe est le signal d'une course
effrénée pour celles qui tentent d’échapper à une mort plus ou moins lente. Un
coup de téléphone. Des pas. Une ombre. Un regard insistant. Une ruelle à
emprunter. Tout est menace et danger potentiels. Où sont passées toutes ces
femmes ? Beaucoup finiront dans des bordels américains, beaucoup seront
violées et tuées, beaucoup disparaitront sans que personne ne sache si elles
vivent toujours. Ce que décrit l’auteure est un véritable carnage.
Si le livre a pour « décor »
l’Amérique centrale, et en particulier le Mexique, ce qui est dit là vaut sans
doute aussi pour les femmes qui migrent partout ailleurs dans le monde. La
violence que décrit Camilla Panhard est certainement particulière, les cartels
mexicains sont d’une sauvagerie hors du commun. Mais là où l’Etat, l’autorité
publique fait défaut, démissionne ou est complice du crime organisé, la place
est toujours prise par un autre pouvoir, sans lois sinon celle du profit
immédiat et de l’exploitation des corps sans pitié aucune. Cela vaut pour la frontière entre
le Mexique et les Etats-Unis, mais aussi pour celles entre l’Europe et l’Afrique ou l’Orient,
plus ou moins proche, qui sont des lieux où les femmes sont des proies, des
victimes potentielles pour des hommes qui ne voient en elles qu’un corps qu’on
peut maltraiter et exploiter.
Camilla Panhard – No Women’s Land – Les
arènes, 2016
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