mardi 8 mars 2016

No Women's Land



« Quitter un pays où la vie ne vaut rien, prendre la route par ses propres moyens, s’injecter un contraceptif en sachant que le viol est le prix à payer pour franchir les frontières sans argent ni papiers… Les femmes migrantes affrontent la violence du monde. Je suis partie à leur rencontre en Amérique centrale pour connaître ce qu’elles vivent lors de leur traversée clandestine. »

Ces premières lignes sont en (très) résumé ce que raconte le livre de Camilla Panhard.  Un livre claque, coup de poing, brutal, violent, sans grand espace pour l’espoir. L’auteure a suivi les trajets de celles qui tentent de rejoindre les Etats-Unis. Depuis l’Amérique centrale, le Honduras, le Guatemala, le Salvador, elles tentent d’échapper à la misère, à la violence, à la persécution dont sont victimes les femmes, le Mexique est le dernier immense piège auquel échapper. Beaucoup n’y parviendront pas. Les prédateurs et charognards sont nombreux, très nombreux. Comme des milliers de femmes mexicaines, elles seront enlevées, violées, tuées, prostituées, elles seront considérées comme des bouts de viande qu’on peut écrabouiller, déchiqueter, jeter, et sur lesquels on finira par cracher… Féminicide. A un moment du livre, Camilla Panhard utilise ce terme qui depuis quelques années est une circonstance aggravante pour une agression ou un meurtre sur une femme, c’est dire si le nombre de ces crimes est élevé. Au début des années 2000, on a beaucoup parlé de Ciudad Juarez et de ces milliers de cadavres et de disparitions de femmes qui y ont eu lieu. Mais depuis c’est tout le Mexique qui est concerné, qui en parle par ici ?

Le livre est fait de paragraphes courts qui comme des instantanés pris à la volée rendent compte de bouts d’histoires, de morceaux de vie. L’auteur va à l’essentiel, dit, crie, montre l’horreur. Qu’elle sait, qu'elle voit, qu’elle imagine, qu’on lui raconte. Le danger est partout. Des gamines se font enlever sur le chemin de l’école. Des jeunes femmes sont sorties de force d’un autobus. D’autres tombent dans un piège que leur aura tendu un passeur, un policier ou une bonne sœur. Le danger est partout et sans visage. Le bruit d’un moteur qui s’emballe est le signal d'une course effrénée pour celles qui tentent d’échapper à une mort plus ou moins lente. Un coup de téléphone. Des pas. Une ombre. Un regard insistant. Une ruelle à emprunter. Tout est menace et danger potentiels. Où sont passées toutes ces femmes ? Beaucoup finiront dans des bordels américains, beaucoup seront violées et tuées, beaucoup disparaitront sans que personne ne sache si elles vivent toujours. Ce que décrit l’auteure est un véritable carnage.

Si le livre a pour « décor » l’Amérique centrale, et en particulier le Mexique, ce qui est dit là vaut sans doute aussi pour les femmes qui migrent partout ailleurs dans le monde. La violence que décrit Camilla Panhard est certainement particulière, les cartels mexicains sont d’une sauvagerie hors du commun. Mais là où l’Etat, l’autorité publique fait défaut, démissionne ou est complice du crime organisé, la place est toujours prise par un autre pouvoir, sans lois sinon celle du profit immédiat et de l’exploitation des corps sans pitié aucune. Cela vaut pour la frontière entre le Mexique et les Etats-Unis, mais aussi pour celles entre l’Europe et l’Afrique ou l’Orient, plus ou moins proche, qui sont des lieux où les femmes sont des proies, des victimes potentielles pour des hommes qui ne voient en elles qu’un corps qu’on peut maltraiter et exploiter.

Camilla Panhard – No Women’s Land – Les arènes, 2016 

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