mardi 6 janvier 2015

Vera




Vera, c’est l’histoire de Ada, Augusto et Vera. Ils ont quitté l’Italie pour fuir le fascisme, ou en tout cas pour fuir ce que le fascisme allait faire de l’Italie. Ils sont allés en Angleterre, à Londres. Lui Augusto le Frioulan. Elle Ada la Romagnola. Et Vera, un peu des deux.

En Angleterre, ils font ce qu’ils peuvent pour qu’on ne les remarquent pas. On les remarque bien sûr. Leur apparence. Leur teint. Leurs manières. Et puis surtout la langue, cette langue anglaise qu’ils ne parlent pas vraiment, mais qu’ils parlent suffisamment mal pour qu’on sache qu’ils ne sont pas d’ici. Pour Vera, c’est différent. L’école fait son oeuvre. Ce sera elle le trait d’union entre ses parents et leur nouvelle patrie.

Vera se souvient de l’Italie. Et l’Italie se souvient de Vera. Dans le Little Italy londonien, gli Italiani dell’estero sont une proie de choix pour l’ambassade et son personnel convertisseur. En plus de l’école anglaise, Vera suit les cours d’italien et surtout de civilisation italienne. Elle partira en voyage organisé pour l’Italie, pour Rome, elle y rejoindra des milliers de jeunes qui comme elle viennent vénérer il Duce.

De retour, les choses ne seront plus jamais les mêmes. La guerre s’annonce. Les Italiens deviennent petit à petit des ennemis, même ceux qui vivent depuis longtemps en Angleterre sont montrés des yeux. Quand la guerre est là, Churchill ordonne l’arrestation de milliers d’hommes. Certains sont envoyés vers l’Ecosse, dans des camps. Augusto disparait dans le naufrage du bateau qui emmène ces ‘ennemis de l’intérieur’, ces Allemands, ces Italiens dont le seul tort, pour beaucoup est de s’appeler Augusto ou Hans.

Ada se mettra à chercher son mari dans les bureaux militaires, puis dans tous les cimetières de la ville, elle délaissera son épicerie à mesure qu’elle perd la tête. Vera travaille. Elle trouvera de quoi nourrir elle et sa mère, en servant dans un restaurant français qui sert des plats dont seul le nom goûte je français, concoctés par un couple qui n’a de français que ce que leurs clients veulent bien croire.

C’est dans cette clientèle, essentiellement composée de jeunes miliciens français en exil, qu’il faut chercher celui qui est le père de Ben, le fils qu’aura Vera. Elle ne sait qui c’est. Il y en a eu tellement, qu’elle ne sait pas. Il est français, c’est en tout cas ce qu’elle croit.

Ada perdra la tête en cherchant en vain son Augusto. Ben perdra les mots en ne sachant où les trouver. English? Italiano? Français? Quelle langue parle-t-il? Quelle langue doit-il parler? Un jour, il en a eu assez et il s’est tu. Hors de l’école, il sera parmi ceux qui volent, cassent, frappent. Il sera enfermé. Comme son grand-père.

Vera est un bon roman sur l’immigration, l’exil et le statut étrange qui sera celui des migrants et de leurs descendants, jamais vraiment d’ici, toujours un peu suspect, à jamais redevable d’ils ne savent quoi. C’est aussi un roman sur la langue de ceux qui ont plusieurs patries et plusieurs langues. Il faudrait laisser du temps pour s’y installer dans ces patries et dans ces langues, même si elles sont lointaines; mais non, on demande de choisir, et de préférence vite. Quand on n’a pas le temps nécéssaire pour s’installer, on occupe mal les lieux, et parmi ces lieux, il y a la langue. Car, le véritable territoire, c’est la langue.  C’est ce que tente de nous dire Jean-Pierre Orban en mêlant les langues française, italienne et anglaise. C’est un choix. Cela dessert plutôt le texte. En tout cas, il alourdit quelque peu le propos, par des répétitions inutiles et pesantes au fil des pages.

Un autre regret concerne l’équilibre des parties du texte, la fin surtout. Cette partie semble ramassée, voire bâclée. On sait peu de choses de Ben, et bien qu’il ait décidé de se taire, on aurait aimé l’entendre, en savoir plus que ce qu’en dit Vera. Bien qu’elle soit le personnage central de cette histoire, Augusto, Ada et Ben auraient mérité davantage d’attention, pas seulement pour varier les points de vue, mais aussi pour donner plus d’épaisseur à l’histoire. Mais peut-être est-ce une autre histoire, un autre livre à venir.

C’est comme ça que ça se termine : Jusqu’à ce que les horizons s’éteignent.

Jean-Pierre Orban – Vera – Mercure de France, 2014, 250p


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