L’oeuf ou la
poule. Beatles ou Rolling Stones. Messi ou Ronaldo. Huile ou beurre. On hésite.
On doute. On discute. Il en va de même pour réalité et fiction. Qu’est-ce qui
est vrai? Qu’est ce qui est faux? Que vaut-il mieux utiliser? Allez savoir.
Mais bon, on s’en fiche quand même un peu. Prenez Samuel Beckett. On a vu ses
portraits, ce visage grave taillé à la cisaille, ses lunettes sur le front, sa
cigarette au bec, cette silhouette osseuse. Et bien, quand Martin Page nous dit
qu’il a une barbe et de longs cheveux, qu’il est un peu plus épais qu’on ne le
pensait, on y croit, on le voit ou on l’imagine. Et on s’en fiche un peu
d’aller vérifier, d’aller fouiller n’importe où pour trouver un cliché qui le
montrerait tel.
Martin Page nous
donne à lire le journal de celui qui a travaillé pour Samuel Beckett. Cet
étudiant en anthropologie l’a aidé à mettre de l’ordre dans ses papiers, dans
ses souvenirs; il s’en fout de la postérité le père Samuel, mais bon, tant qu’à
faire, autant que ses biographes, hagiographes, voire beckettographes aient du
bon matériel. Oui, mais voilà, le travail est rapidement terminé. Ce n’est pas
qu’il est radin, mais Samuel B. a payé pour dix jours de travail, alors, il va
lui donner à faire pour dix jours. Et il va s’amuser à créer des originaux, des
documents qui n’ont jamais existé, des souvenirs dûment répertoriés qui n’ont
jamais eu lieu. Ils vont s’amuser à empiler, empaqueter et envoyer tout cela
aux universités, aux savants qu’ils imaginent perdre pied devant toutes ces
merveilles. Samuel Beckett quand même!
Il y a aussi
ce metteur en scène suédois qui veut créer ‘En attendant Godot’ en prison et
qui demande l’autorisation au maître. C’est oui, mais. Ce sera fait. Cela sera
un succès incroyable. Jusqu’à la tournée organisée par les autorités, qui
voyait là un exemple à montrer, à répéter ailleurs, et à cet après première
représentation hors les murs où les détenus se sont fait la malle. Samuel en
rit encore.
Martin,
allez, cet étudiant appelons-le Martin, et Samuel vont frôler l’amitié, mais
rester à distance. Le temps de chocolats chauds, de repas copieux et fins, de
promenades et de confidences, de coups de téléphone et de visites improvisés.
Le temps aussi de s’occuper des abeilles que S. Beckett garde sur son toit pour
le miel qu’elles fabriquent.
Et puis, leurs
chemins se sépareront.
Ce texte
court, qui a la forme d’un journal, retrouvé par à l’Université de Reading dans
les archives de Samuel Beckett, est un plaisir de littérature. Bien sûr, cela
va mieux si l’on connaît Beckett, mais ce n’est pas vraiment nécessaire, le
texte coule, on vit cette brève rencontre avec plaisir. C’est aussi un texte
utile à qui se demande comment créer des personnages? comment créer un intrigue
ou un récit? quoi dire? Prenez des souvenirs, des anecdotes, des faits réels ou
à peu près, inventez-en d’autres, agitez et regardez ce que ça donne. Allez
savoir si Beckett a inventé de fausses pièces biographiques; il en aurait sans
doute été capable; allez savoir s’il s’occupait d’abeilles; elles auraient sans
doute dit oui; allez savoir si entre deux invitations publiques, il se
laissaient pousser les poils; cela lui aurait certainement été; allez savoir
s’il portait des vêtements bariolés. Allez savoir. Ce n’est pas obligatoire, le
personnage Beckett qui reste de ces quelques dizaines de pages est celui d’un
écrivain qui pèse ses mots, qui aime la précision, qui cultive l’ironie et rit,
et qui s’intéresse aux détails, notament la température idéale pour le chocolat
chaud.
C'est comme ça que ça se termine : Ma thèse est terminée, relue, corrigée, relue, corrigée. Une nouvelle fois, ma vie commence et tout reste à faire.
C'est comme ça que ça se termine : Ma thèse est terminée, relue, corrigée, relue, corrigée. Une nouvelle fois, ma vie commence et tout reste à faire.
Martin Page –
L’apiculture selon Samuel Beckett – Editions de l’Olivier, 2013 (Points Seuil,
2014), 81p
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