jeudi 8 novembre 2012

14




C'était il y a bientôt 30 ans, je travaillais en bibliothèque, je passais du temps avec un gars qui lisait des trucs que je ne connaissais pas, comme Christopher Isherwood, Sam Shepard ou Bertrand Visage. Alors, quand il m'a dit 'Tiens lis ça', j'ai pris et j'ai lu.

J'étais toujours sous l'influence des professeurs du secondaire et de leur Lagarde&Michard, alors, commencer un livre où un gars, un jour, sort d'une usine avec un chapeau mou sur la tête, je ne savais pas que c'était possible. Et pourtant, ça existait. C'était 'Cherokee', le premier roman de Jean Echenoz. Depuis, j'en ai pas raté un. Il y a de bonne année (souvent) et de moins bonne (rarement). Si vous ne le connaissez pas, foncez, vous ne serez pas déçus.

'14', c'est la guerre 14-18. C'est la mobilisation. Les hommes qui partent. Les villes qui se vident. Les femmes qui les remplacent dans nombre d'emplois. Il y a la camaraderie, les potes qui partent ensemble et qui ne reviendront pas tous. Ou pas entier. Il y a celle qui voit partir deux hommes qui comptent pour elle. Des frères. L'un est le père de l'enfant qu'elle porte. 

On reçoit des uniformes, des armes, des sacs, tout ça pèse. Le combat arrive tard. La mort surprend vite et beaucoup de ces jeunes hommes partis joyeux. On pue. On tremble. On écrit. On tue. On regarde mourir. On perd des proches. On perd des bouts de soi. On rentre un bras en moins.  La vie continue. Des enfants naissent. Les hommes reviennent et remplissent à nouveau les villes. Ils ne sont plus les mêmes. Ils sont fous. Ils sont tristes. Ils sont blessés, estropiés, handicapés.

Une femme sourira. Un enfant naîtra. Un homme revivra. Une famille se fera.

Jean Echenoz, c'est l'assurance de pouvoir se laisser porter par un rythme apparemment nonchalant, mais que vous ne pouvez abandonner. On passe d'un tableau à un autre, d'une scène à la suivante, comme ça, comme on met un pied devant l'autre, ça marche. C'est brillant. C'est drôle.

Du coup, je n'en veux plus vraiment à ce gars de m'avoir piqué mon blouson il y a bientôt 30 ans. Ca nous fait un bout d'histoire commune à tous les deux.


ça finit comme ça :

Il s'est couché près d'elle et l'a prise dans son bras, puis, il l'a pénétrée avant de l'inséminer. Et, à l'automne suivant, précisément au cours de la bataille de Mons qui a été la dernière, un enfant est mâle est né qu'on a prénommé Charles.


14 - Jean Echenoz - Editions de Minuit, 2012

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